samedi 28 février 2009

Langues

Ahmet Türk est le président du DTP, le parti kurde au Parlement turc. Son nom fait rire sans doute mais c'est comme ça. Une histoire de fonctionnaire lourdaud qui a dû accoler ce nom si prestigieux à une famille kurde pour bien lui rappeler qu'elle est aimée... Les Kurdes fonctionnent par chefferies; Ahmet Türk fait partie de l'aristocratie kurde.


Il a osé parler en kurde lors de l'allocution ordinaire de son groupe parlementaire. La chaîne publique, TRT, a donc immédiatement cessé de diffuser ses paroles. Car en kurde. Personne n'a rien contre le kurde mais la chaîne de l'Etat doit respecter le principe constitutionnel : la langue de la Turquie est le turc. Jadis, en 1991, Leyla Zana, le cicerone indéboulonnable des Kurdes inflexibles, avait ajouté à son serment fait en turc, une phrase en kurde : "Vive la paix entre les peuples kurde et turc". Une grave offense à l'époque; tous les soucis du monde, ensuite : levée de l'immunité, tribunaux, prisons, et prix et récompenses du monde entier à l'occasion...


Ils récidivent : "nous voudrions parler en kurde dans l'hémicycle", "Calme M. Türk, calme !" Même à l'époque de l'empire ottoman, nous disent les spécialistes, on parlait en turc au Parlement (turc dit "osmanli") alors qu'il était peuplé de Turcs, Kurdes, Arméniens, Arabes, etc. A l'époque, les députés arabes avaient forcé la main aux fonctionnaires de l'assemblée; "on veut pouvoir s'exprimer en arabe, on ne maîtrise pas le turc", "eh bien, vous avez quatre ans pour l'apprendre", leur aurait rétorqué le Président de l'Assemblée.


On apprend à l'occasion, l'historique de cette audace : Ahmet Türk, comme tout politicien d'origine kurde qui se respecte, a croupi en prison pour on ne sait plus trop quelle raison; sa mère vint le visiter mais l'administration pénitentiaire leur refusa de parler en kurde. Question de sécurité. La mère en pleurs d'un côté, un fils confus et énervé de l'autre. C'est à cet instant précis qu'il jura de parler, un jour, en kurde dans une enceinte officielle. Chose faite. Pour la mémoire de sa mère. D'ailleurs, il était très ému. Les explosions viennent de loi, en réalité...


Ahmet Altan, un journaliste dissident, s'en amuse : "ah bah voilà, on vient d'apprendre qu'un Kurde parle le kurde; un peu comme il neige en hiver, il pleut au printemps" (Hadi hep beraber... “Kürtler Kürtçe konuşur, Türkler Türkçe konuşur, kışın kar yağar, baharda yağmur olur, Ali topu bana at...”).


La rancune du passé s'est exprimée à l'occasion de la journée internationale de la langue maternelle; j'ai toujours envié les Kurdes pour leur formidable attachement à leur langue. Les Ossètes sont trop laxistes dans ce domaine; on nous apprend l'étiquette, nous incite à pratiquer la danse traditionnelle mais on ne s'attarde pas sur l'apprentissage de la langue. Alors, on a presque honte de dire que l'on est Ossète et que l'on ne sait pas parler cette langue. La faute des parents. La faute des oreilles aussi; mes deux frères maîtrisent la langue. Moi, je patauge. J'ai du mal à apprendre les langues. Etre premier en latin, anglais, allemand, arabe ne veut rien dire dans le système français; je l'ai très bien compris. Et quand je pense que je dois encore apprendre le russe et approfondir l'arabe... "Le persan aussi, il paraît que c'est sublime", "oui oui après..."


C'est une tradition familiale que d'être au moins bilingue chez nous : les ancêtres parlaient ossète et russe; les parents turc et ossète et la génération actuelle qui vit en France, français et turc. L'ossète a disparu de la circulation. Alors, on se jette dans les bouquins pour apprendre notre langue ancestrale. Et le livre ne porte que sur un dialecte de l'ossète, l' "iron", celui qui n'est pas pratiqué par ma famille (le nôtre, c'est le "digoron"). Mon père avait la chance de parler aussi bien le digoron que l'iron, sa mère étant iron. Résultat : on baragouine. J'avais été tout penaud lorsque mon professeur de droit m'avait recommandé de faire un mémoire sur l'Ossétie et le droit international; "euh... c'est vrai que ça me passionne par la force des choses mais les sources en ossète et en russe, voilà quoi, je n'y comprends rien et avec mon anglais "made in France", je ne vais pas aller loin !".


Au moins, les étés passés en Turquie ressemblent à des séances onusiennes : turc, français, allemand, anglais, ossète. Et il faut savoir jongler : passer du turc avec la matriarche au turc mêlé d'allemand et de français avec une cousine d'Allemagne, essayer de comprendre les discussions en ossète et essayer de répondre en turc en pensant en français, etc. Du sabire. Et quand l'oncle qui parle arabe débarque, c'est la queue pour écouter fièvreusement ses sermons et poser des questions. C'est connu, les arabisants sont censés être spécialistes de la religion. "Fumer, c'est interdit dans l'islam ?", "Dans le Paradis, je vais être avec mon mari défunt ou celui-ci ?", "quelle sourate doit-on réciter quand on est malade ?", etc. Le comble de la singularité : tout Turc qui se respecte lit l'arabe, appris chez l'imam du coin; mais c'est tout. Je n'ai jamais rencontré un parent qui a sû pousser la logique jusqu'au bout et permettre à son enfant d'apprendre la langue arabe. Du coup, de la grand-mère qui n'a jamais fréquenté une école jusqu'à l'universitaire le moins ardent, on partage au moins un truc : on "lit" l'arabe.


Le monolinguisme, on ne connaît donc pas. C'est toujours émouvant de voir ma mère adresser des prières en ossète; c'était passionnant de voir mon père discuter en ossète avant de nous faire des confidences en français et de reprendre en turc. Le proverbe turc le dit si bien : "une langue = un homme"; je le confirme. Lorsque réfléchir, prier, écrire, parler se font en plusieurs langues, on ne peut s'empêcher de se sentir différent. Mes "idoles" en la matière sont assurément l'historien turc Ilber Ortaylı, l'islamologue Muhammed Hamidullah, le juriste turc Hüseyin Hatemi et le grand juriste français Jean Carbonnier. Bacon le dit bien : "la conquête du savoir passe par la connaissance des langues". CQFD.

mardi 24 février 2009

Macabrerie

Voilà donc une bonne nouvelle : "les autorités sanitaires de Mexico tirent un bilan positif de la loi qui a dépénalisé l'avortement jusqu'à douze semaines de grossesse - une expérience pionnière en Amérique latine". Il y a, en effet, moins d'abandons. Grâce à l'avortement. On n'abandonne pas. Il n'y a rien à abandonner. On tue dans l'oeuf. Moins de paperasse, moins de picailles dépensées, moins de mères à consoler, moins d'enlèvements de mineurs.

On le sait, en France, l'avortement n'est permis que pour soulager des "détresses". Une exception au droit à la vie : l'article 1er de la loi du 18 janvier 1975 est on ne peut plus clair : "La loi garantit le respect de tout être humain dès le commencement de la vie. Il ne saurait être porté atteinte à ce principe qu'en cas de nécessité et selon les conditions définies par la présente loi". Détresse, détresse, le sésame. Les gueuses n'avaient d'autre choix que d'abandonner leurs poupons et c'est la collectivité qui casquait. Détresse de la mère, détresse du petit, détresse de la Nation. Les vagissements se mêlaient. Une charge émotionnelle. Désormais, il n'y a que des contents; enfin presque puisque la "détresse" de la "mère" reste le critère. Toujours inconsolable.

Mais allez faire comprendre : la masse croit qu'il s'agit d'un droit fondamental. Un droit de la femme à disposer de son corps; si bien que la notion de "détresse" commence à englober tout et n'importe quoi : "mince alors, j'ai oublié de mettre le préservatif; dans le feu de l'action, tu comprends...", "eh puis, j'ai pas envie de prendre du poids", "ouais, on est trop jeunes"... L'ère de la frivolité. On veut fuir le sérieux, rester enfantin, être léger, sans soucis, sans encombrement. Irresponsables.

Je ne suis pas femme. Je ne connaîtrai jamais le sentiment d'être mère; mais enfant, on a bien compris qu'il est indescriptible. Un amour sans pareil, sans contrepartie, à perpétuelle demeure. "Alors, p'tit malin, comment oses-tu dire des femmes qu'elles avortent par plaisir, hein ! Avoue qu' tu provoques". Et on tresse de fausses indignations. Détresse.

Il faut dire que le Pape résiste crânement : ni contraception ni avortement. Même son vieil ami, Hans Jüng, n'arrive pas à le convaincre; "allez, laisse les gens utiliser pilules, préservatifs et autres, il n'y a pas meurtre puisqu'il n'y a rien !", "dégage, toi aussi, on ne fait l'amour que pour avoir des bébés chez nous, j'vais t'le dire combien de fois !". Et quand les Africains meurent du Sida, on tourne les yeux vers le Vatican : "va au Diable avec tes principes". Comme si le Pape retenait physiquement les gens pour ne pas qu'ils utilisent les moyens de contraception. Sorte de "contrainte morale" de sa part; ils attendent toujours la "fatwa".

Les droits-de-l'hommistes non plus ne savent pas trop qui défendre; la Cour européenne balbutie toujours, rien à se mettre sous la dent : « la Cour ne sous-estime pas l’importance accordée par l’Etat portugais à la protection de la législation en matière d’interruption de grossesse telle qu’applicable à l’époque ainsi qu’aux principes et valeurs qui la sous-tendent » (Women on Waves c. Portugal, 3 février 2009). La Ligue des droits de l'Homme défend l'avortement mais rappelle le droit à la vie, on n'y comprend plus rien. Les féministes se perdent dans des explications philosophiques, liberté, égalité, dignité, etc. Inégalité, c'est vrai; l'homme ne fait que "déposer"; le reste, ça se passe chez la femme. Et d'ailleurs, la justice nous dit bien que "le fait de concevoir un enfant contre la volonté du mari ne constitue pas une cause de divorce" (Cour d'appel de Caen, 5 janvier 2006). Liberté chérie.

Les folies finissent toujours par avoir raison. Irlande, Pologne, Malte, et autres finiront par tomber. Il y a une sorte d'évolution dégénérative inexorable; la hardiesse devient la normalité dans le domaine des moeurs; les attentats à la morale deviennent des actes de bravoure. L'on s'émancipe. Un noble mot, l'émancipation. Au moins, l'on connaît la fin du cheminement : les incartades ont été créées pour amener l'Apocalypse. La "poliorcétique" s'affermit et les hôtes regardent ailleurs : pas de fin sans début. Freiner, entraver, obstruer ne sont que des mots. Maux contre mots, ce qui nous reste. Et à rebours, on s'y emploie. Verba volant, scripta manent. Une simple histoire de preuve pour le Grand Procès.

mercredi 18 février 2009

Entêtement fieffé

Attaque vaut riposte; dans tous les domaines : militaire bien sûr, politique, intellectuel, sentimental, etc. Et ceux qui ont l'audace de se montrer surpris par la réponse passent pour des culottés. Voilà que la théorie trouve une pertinente application.
Après la féroce remontrance du Premier ministre Erdoğan à Davos contre Shimon Peres, un général israélien, apparemment révulsé par l'affirmation "vous, vous savez bien tuer" a décidé de lancer une pique : "euh, franchement, avant de nous critiquer, balaie devant ta porte !" Référence aux différents "massacres" perpétrés dans l'histoire de l'empire Ottoman et de la Turquie moderne : Arméniens, Kurdes et Chypriotes. Indignation unanime du côté turc : Président, Premier ministre, Armée, intellectuels.
"C'est quoi le rapport, misérable ! Nous avons les mains propres, nous ! Foutaise !" Conscience tellement tranquille qu'ils en tremblent; alors que toute la planète diplomatique n'en finit pas d'analyser en long et en large la politique extérieure de Obama et ses implications pour les différents pays, les diplomates turcs en poste à Washington, mieux tous les agents du ministère turc des affaires étrangères retiennent leur souffle : "il va prononcer le mot 'génocide' à ton avis ?", "bah, il n'a pas l'air mais il faut rester vigilant", "d'accord, allez faire du lobbying, mais merde, on n'a plus le soutien des Juifs". Même anxiété pour le mot "Kurdistan" : un colloque a été organisé à Erbil pour discutailler de l'avenir et de la paix "là-bas"; nos diplomates n'avaient d'yeux que pour le vocabulaire : ni Kurdistan ni Iraq du Nord. Il faut dire "Nord de l'Iraq" et les choses s'arrangeraient... Problème identique avec Chypre; après les révélations d'un acteur turc qui avait fait son service militaire sur l'île, sur les massacres qu'il avait personnellement commis sur ordre de ses supérieurs, la Turquie a tenté de convaincre les Grecs et les Chypriotes : "mais nan, il écrit un scénario sur la période, il a oralisé des bribes du scénario, c'est rien, allez, circulez"...
Erdoğan avait expliqué sa colère par l'ampleur des massacres certes, mais également par "l'incivilité" de Ehoud Olmert qu'il venait tout juste de rencontrer et qui ne lui avait rien dit sur l'imminence d'une telle attaque : "je te jure, mon frère, je ne savais pas que l'on allait faire la guerre, je ne fais qu'expédier les affaires courantes", "menteur !", "et d'abord, suis-je obligé de raconter nos secrets à tous les premiers ministres que je rencontre, hein !". La réaction d'Erdoğan ne s'est pas fait attendre, évidemment : "Comment il ose ce paltoquet ? Nous, nous sommes la Turquie, pas n'importe quel pays, pigé !".
Peres avait appelé Erdogan pour lui dire qu'il était désolé de ce qui venait de se passer et qu'il ne souhaitait pas que leurs relations diplomatiques fussent affectées; et voilà qu'après les propos du Général, l'armée israélienne a dû affirmer qu'ils ne liaient pas l'institution.
Et les Israéliens disent que les Turcs ont tort dans leur colère forcenée. Quelle performance, tout de même, d'avoir tort et de recevoir en plus des excuses !

samedi 14 février 2009

Embrasements

La plus ferme dénonciation vient, cette année, de l'Inde où les hindous extrémistes ont juré de caresser, à leurs manières, les amoureux. Une bonne rossade, a-t-on décidé. Mieux : les enlever au temple pour les marier de force. Pour en faire de vrais amoureux du coup, des mariés. "Euh, je ne voulais pas vraiment m'engager dans...", "tais-toi, hérétique sauvage, tu vas l'épouser, le désir s'assouvit et s'éteint dans le mariage chez nous !" L'amour et le mariage, un vaste sujet. A une époque où tout s'est déréglé : sexe sans mariage, sexe sans amour, bébé sans sexe, sexe sans bébé, etc.
La méfiance et le rejet traditionnels relèvent, cependant, de l'aire arabo-musulman. "Attends, à mon tour". Un cheikh égyptien aurait décrété dans un cours désormais ordinaire d'asepsie morale : "bande d'affamés ignobles et occidentalisés, n'attrapez pas le virus de la Saint-Valentin, c'est pire que le sida et le choléra". Bien. Toujours cette crainte de sombrer dans le relativisme de la tradition islamique; la peur de l'influence corrosive du concurrent. Souvenez vous l'an dernier, la gaule contre la rose en Arabie Saoudite. Et voilà que le Roi d'Arabie nomme une femme au gouvernement; vice-ministre de l'éducation; Sa Majesté Abdallah, voyons, celui qui avait reçu le prix de la tolérance de l'Institut Lech Walesa...
Mais bon, les théologiens musulmans ont leurs raisons, tant le sentiment amoureux s'est perverti; et ils ont peur, on l'a dit : "nous rejetons tout ce qui émane de l'Occident sale et pervers; nous, nous aimons 365 jours, et nous aimons d'un amour le plus pur, pas le vôtre, le plus vil, le plus diminué, le plus bestial". Et toc. Le bon vieux temps où la Saint-Valentin prenait les allures de marché turbulent de l'offre et de la demande étant révolu, la critique peut sembler sévère. Ce que l'imam veut, Dieu le veut; probablement.
Dans l'imaginaire musulman, cette journée spéciale des tourtereaux est perçue comme l'acmé de la concupiscence débridée qui caractérise si bien les sociétés occidentales, évidemment. Comme si cette journée ne concernait que les libidineux ou correspondait à la date d'ouverture du marché des libertins et des catins; "mais tu vis où, pauvre puceau, c'est leur slogan : plaisirs de Bacchus et Comus puis plaisirs de Vénus, bonne chair puis chair, hein !" Plaisirs génésiques, hédonisme... "Dans le cadre du mariage, tu fais ce que tu veux, on s'en bat". Ghazâli l'avait mieux dit : "[en goûtant au plaisir du rapport amoureux], l'homme peut se représenter les délices de l'Au-delà" (dans son livre "Des vertus du mariage").
Souhaitons un amour pur et sûr à tous nos amis. Toute personne qui aime, aspire au Paradis. Au moins, on le sait.

jeudi 12 février 2009

Salves vaticanes

Une éclipse du Saint-Esprit. Ou un sursaut, tout dépend de l'angle de vue. L'on avait déjà eu du mal à comprendre son auguste Pardon; la nomination de l'évêque auxiliaire de Linz qui déclara à propos du tsunami de 2004, "c'est un châtiment divin", continua d'exaspérer. La colère devait donc éclater : "comment peux-tu dire ça ! C'est pas Dieu, c'est la nature qui nous joue des tours, reconnais-le !", "oui, c'est ce que je dis, chez nous, la nature, ça s'appelle Dieu"...

Les fâcheuses interprétations religieuses ! Après les séismes d'Izmit et de Düzce en Turquie (1999), un imam s'était également "égaré" : "c'est Dieu qui agit, calmez-vous, revenez au droit chemin, ya Allah, estagfirullah", "mais nan, ignorant, la science nous dit que..." Les gens s'en étaient remis tout de même aux religieux. Plus réconfortant que des calculs et des cartes de sismicité. Si bien que l'on avait pu voir des scènes pour le moins insolites : des fronts qui ne se levaient plus, des chapelets jalousement tenus en main, l'apprentissage accéléré du Coran, etc. Même mon oncle qui, dit-on, n'est pas très à l'aise avec les choses religieuses (un ancien de 68) avait, à ma très grande surprise, des balbutiements qui, à les écouter de plus près, s'apparentaient à des prières. "Non ! Toi ?", "le Jour approche, fiston"... L'homme n'est rebelle que par fanfaronnade; la moindre secousse le jette dans le giron de la sacralité la plus proche. Un réflexe qui ne s'invente pas... "Chaque fois que tu tombes malade, tes désirs et tes ambitions perdent de leur force et toi, tu te construis une maison de repentir" dixit Rûmi.

Le Très Saint-Père aurait encore, divagué. "Assassins" s'est-il emporté contre ceux qui ont laissé mourir la jeune femme; une émouvante histoire de fin de vie. 17 ans dans le coma, un père et une Cour de cassation inconsolables et un clergé toujours aussi froid, inhumain, trop religieux. Voilà qu'il se met à défendre la vie, maintenant ! "Comment oses-tu ? Invente des exceptions !" Chacun avait la larme à l'oeil; même le fringant Berlusconi en était touché : "allez Napolitano, signe, vieillard sénile !", "jamais, tu m'entends, jamais, elle doit mourrir !" Le camp "laïque" avait même applaudi le Président de la République : "c'est bien, t'es resté communiste jusqu'au bout, pas de courbette devant le Pape".

Chacun invoque la dignité de la personne humaine. "Elle doit vivre, on ne part pas comme ça, Dieu lui a donné une dignité", "ouais ouais, elle doit mourrir car elle le veut, et c'est ça la dignité, éviter la dégradation". Une personne diminuée ou handicapée étant considérée comme indigne de vivre, car trop exact, trop authentique, trop immonde. L'impureté du monde profane. L'on vit à une époque où il est bon de cacher toutes les manifestations de notre humanité; une époque qui ne veut jamais voir le visage froid de la mort. Out la douleur, la vieillesse, la tristesse.

Et le lobbying est forcément nuisible quand il émane d'une force spirituelle. L'Eglise fait surtout exaspérer ceux qui ne la suivent pas, avec son principe "négatif" : non à tout : euthanasie, avortement, divorce, contraception, union homosexuelle, procréation assistée, etc. Tout ce que l'époque moderne a de plus moderne. D'ailleurs, on avance à tatons en France : "pas d'euthanasie chez nous hein, mais ceux qui la pratiquent peuvent espérer la clémence de la justice". Les jurés pleurent en choeur et la justice se désole tellement qu'elle avait pu pondre, l'an dernier, une ineptie : une mère avait tué sa fille par pitié, en la noyant, et avait bénéficié d'un acquittement ! Heureusement que la cour d'appel s'est ressaisie et a prononcé deux ans d'emprisonnement; avec sursis, bien sûr, pour la galerie...

"Peut-être la véritable dignité consiste-t-elle à porter sa croix jusqu'au bout..." (Gilles Lebreton). Un simple avis. Ni oukase, ni conseil. Un testament.

samedi 7 février 2009

Investissement politique

Le concours continue : qui, de Deniz Baykal (CHP, soi-disant parti républicain du peuple) ou de Recep Tayyip Erdoğan (AKP, musulman démocrate), va réussir à rafler les suffrages de la frange conservatrice de l'électorat. Le Premier ministre a une "autorité morale" dans ce domaine mais le "leader" du CHP n'est pas en reste. Certes, c'est un défenseur acharné d'une certaine conception de la laïcité mais il sait cligner de l'oeil, aussi. D'autant plus que les élections locales approchent.

Un des candidats CHPistes a ainsi promis d'inonder la ville de cours coranique afin, dit-il, de mieux éduquer la populace, toujours suspecte, faut-il comprendre, de prêter insolemment l'oreille aux délires islamistes. Du service public des cultes dans un système laïque. En soi, cette initiative est contraire au Principe puisque la Direction des affaires religieuses a précisément la tâche d'offrir ce service.

Deniz Baykal a immédiatement rallié cette promesse : "ouais, il a raison, on va permettre à nos compatriotes d'apprendre le Coran, youppi, t'as bien pensé, mon frère !" Les plus féroces rappellent "l'ouverture" de Deniz Baykal quant aux femmes voilées (http://sami-kilic.blogspot.com/2008/11/misre-que-misre.html). Un baiser envoyé de loin, élection oblige. "Comment oses-tu dépraver à ce point le parti du grand Atatürk ? T'en as fait un nid d'obscurantisme !". Sourde oreille.

Le CHP en a fait une spécialité, en réalité et seules les oies blanches s'en indignent : changer de timbre lors des élections; l'ancien "Chef", Ismet Inönü avait même été approché par les stratégistes du parti pour qu'il prononce, ne serait-ce qu'une fois et même accessoirement, un terme religieux. Il avait essayé à sa manière à la fin d'un "meeting" en lâchant : "Allahaısmarladık" (qu'Allah prend soin de vous)...

Mais la grogne continue au sein du Parti. Toujours ce refrain inavoué : le sentiment religieux nuit au corps social. Lorsque le gouvernement avait envisagé de permettre aux lycéens scolarisés dans les "imam-hatip" (lycées professionnels qui forment, officiellement, à l'imamat mais que les familles choisissent également pour que leurs enfants aient une culture religieuse en rab) d'accéder aux universités à égalité avec les élèves des lycées généraux, les mêmes bouches se révulsèrent : "comment ! Tu veux inonder les facs de droit et de médecine avec ces chariatistes, dis-le ! On bascule !" Comme si être avocat ou médecin tout en ayant des croyances religieuses établies était inconcevable ! Dans leur petite tête, sans doute. L'idéologie transpire.

Le Procureur général avait pourtant critiqué l'activité par trop enthousiaste des maires AKPistes; "doucement, mes petits, ne distribuez pas des p'tits livres religieux aux gosses, ce n'est pas de votre compétence". Le grief d'hier devient une promesse de campagne du parti-gardien du dogme kémaliste... Mais le "Dux Aeternus" a mis les points sur les "i" : "on critique votre démarche, qu'est-ce que vous dites ?", "nous voulons sauver nos enfants; nous savons que les séminaires coraniques sont, pour la plupart, assurés par les confréries qui, par définition, sont anti-kémalistes; notre but est donc de faire apprendre le Coran et la vulgate kémaliste, c'est intelligent, nan ? Qu'est-ce t'en penses ?", "l'AKP se demande si vous allez également contribuer à abroger l'interdiction du voile ?", "que nenni ! La cohérence n'a pas sa place en politique".

L'AKP ne sait plus quoi faire : critiquer un tel projet est impossible, alors on raille : "eh ben, dis, voilà le CHP se frotter au menu peuple, c'est bien". Certains journalistes taquinent : "bravo dis donc, s'il pouvait y avoir des élections tous les ans dans ce pays, ça serait bien pour notre démocratie, le CHP finissant progressivement sa mue !" (A. Turan Alkan : "Her seçim sath-ı mailine girildiçte CHP'nin kimyâsında husûle gelen bu hayırhah değişiklikler, insana "keşke her yıl bir seçim olsa" dedirtecek derecede şaşırtıcı. Seçim yaklaştıkça CHP, milletin kalbine doğru hamle ediyor; bu gibi açılım, daha doğrusu "saçılım"ların samimiyeti hakkında şüphe duymuyorum. Dine, dinî sembollere, kurumlara, ritüellere karşı cepheden değilse de yan cihetten yüz ekşiten CHP geleneği, her seçimden aldığı darbelerle sersemlemiş bir hâletle çıkınca galiba aşağılık kompleksine kapılıp akıllarına ilk gelen "dinci" politik yatırımdan hisse senedi alıyorlar").

Bien sûr, même un enfant de 7 ans a idée que toute cette annonce est mâtinée d'opportunisme politique le plus grossier. On en est toujours, en 2009, à un CHP qui promet plus de démocratie; ça s'appelle un parti de gauche. "Mais j'te jure, crois-moi". On l'espère; le jour où le CHP virera sa cuti, la démocratie turque s'en trouvera affermie. Mais quand on voit que ces femmes voilées qui s'étaient massées à la porte du CHP tambour battant, ont démissionné en bloc quelques jours après, on ne feint même pas l'indignation; l'on connaît trop bien les longues et les brèves de cette idéologie. Le peuple ? Plebs sordida, cousue à la robe de l'ignorance. Il tourne les pages; nous, on écrit...