dimanche 26 juillet 2009

Sottiser

La Turquie compte beaucoup de démocrates. Heureusement. Et le pays se démocratise assurément, aucun doute. Mais lorsque c'est une équipe musulmane-démocrate qui tient le gouvernail, les esprits les plus malins se demandent si celle-ci ne tente pas de nous embarquer vers des horizons obscurs. Alors, les mesures de démocratisation apparaissent comme suspectes; il en fut ainsi lors de l'affaire du voile. Libéralisation par l'AKP signifiait contre-révolution. Et certains intellectuels formulaient alors cette idée singulière : "lorsque l'AKP se mêle des affaires de cet acabit, il est immédiatement suspecté, c'est donc le CHP qui peut régler ce problème car il ne saurait être soupçonné de vouloir entamer la République laïque". Attendre donc que le CHP arrive aux commandes. Aman Allah'ım ! Voilà une analyse politique. Patienter, donc. Seul le CHP peut bénir la démocratie. Une démocratie attentiste. C'est connu, dans les Etats partiellement démocratisés, l'on attend toujours la "maturité" pour se lancer dans la libéralisation politique. Histoire de préparer l'élite à des changements.


Et les bonnes mesures sont alors immédiatement stigmatisées; voilà que le Gouvernement islamiste-intégriste-réactionnaire dégomme une de ces discriminations fossilisées; c'est-à-dire celles qui heurtent le principe démocratique mais qui, dans le contexte turc, ne font gémir que quelques-uns. Parce-que très sensibles; le respect des droits de l'Homme passant alors pour incongru. Le fameux consensus, l'art d'obéir aux souhaits lèse-démocratie de l'élite kémaliste. Même la Cour constitutionnelle, jadis dans l'affaire de l'élection du Président de la République, avait affirmé, le plus sérieusement du monde, que la Constitution disposait que l'élection devait se faire dans un esprit de concorde nationale. Comprenez : Abdullah Gül ne devrait pas être élu; depuis, personne n'arrive à trouver le mot "consensus" dans le texte de la Constitution. Voltaire disait que "ce serait violer l'esprit d'une loi que de n'en pas transgresser la lettre en faveur des grands hommes". Les grands hommes étant, ici, les kémalistes-gardiens.


En Turquie, les lycées professionnels sont pénalisés dans le "concours" d'entrée à l'université; l'on estime que, bêtes qu'ils sont, ces lycéens n'ont rien à faire à la fac; ils sont condamnés à évoluer dans leur domaine. En réalité, cette mesure vise à empêcher les potaches des "lycées professionnels d'imams" de s'infiltrer dans les carrières autres que religieuses; devenir plus tard un haut fonctionnaire capable de renverser le régime, un cauchemar. Bien sûr, cette mesure discriminatoire a été abrogée par le Conseil de l'enseignement supérieur, organe indépendant du gouvernement; mais tout le monde sait que c'est ce dernier qui dicte les textes importants.


Evidemment, cette mesure a indigné les laïcistes; et l'ancien procureur général près la Cour de cassation, celui qui, comme on le sait, condense la connaissance de toutes les branches du droit (chose rare, il faut le souligner, les professeurs de droit étant eux-mêmes relativement incompétents dans les branches qui ne sont pas directement liés à leur sujet de thèse !), est encore en vedette; il dispense ses avis juridiques. "Allez au Conseil d'Etat, faites annuler ce torchon !", "ah ouais, tu crois qu'on peut ?","mais bien sûr, trouvez quelqu'un qui a un intérêt à agir et foncez, hadi göreyim sizi, aslanlarım !", "oh oh, yandan"...


Ces lycées seraient des foyers subversifs; et si ces lycéens choisissent de continuer leurs études en droit, en science politique ou en médecine, c'est une catastrophe. Des gens ayant eu vent de près ou de loin de Mahomet et de ses principes étant, comme on le sait, suspects. Il faut donc faire quelque chose; rétablir les discriminations, en somme. Une drôle de revendication : "nous voulons des discriminations ! Nous voulons des larmes ! Nous voulons l'interdiction de l'AKP !"... Effectivement, c'est reparti, M. l'ancien procureur ayant montré son index : "écoutez-moi p'tits coquins, la démocratisation est contraire à la Constitution, alors préparez-vous !". L'on attend plus que l'actuel Procureur de la République, celui qui lors du "premier" procès d'interdiction de l'AKP lisait des articles de journaux devant la Cour constitutionnelle en guise de "preuves", reprenne sa collection. Il veut sans doute prendre sa revanche; d'ailleurs, il a déjà commencé à programmer ses salves; celui-là même qui estimait que le développement économique était contraire à la laïcité...


Et les plus objectifs tentent de rappeller que les programmes de ces lycées relèvent du Ministère de l'éducation nationale; mieux, qu'ils sont identiques à ceux des lycées généraux. Des cours de religion en rab, c'est tout. Des lycées privés, en somme. "Peu importe, vous voulez entamer la République laïque, vous voulez nous voiler, nous brimer, nous islamiser !" Comme si le Premier ministre actuel et la quasi totalité de ses ministres n'étaient pas issus de ces lycées; "eh bien, nous avons donc raison, CQFD"... Miserabilis.


Il faut sans doute entamer une réflexion globale sur l'existence même de ces lycées d'imams. Une dissolution pure et simple a ma préférence. Ces lycées n'ayant rien de professionnels; même les filles peuvent y entrer; et personne n'a pu encore me montrer une mosquée dirigée par une "imamesse"... Il faut donc supprimer, évidemment. L'instruction religieuse doit relever de la sphère privée; c'est vrai que les cours coraniques sont interdits aux moins de 12 ans mais bon. L'enfant doit développer son esprit critique nous dit-on. "Oust !" a-t-on envie de crier. Tant qu'à faire, il faudrait créer des écoles où l'on retire les enfants à leur famille; on les rendrait vers l'âge de 15 ans. "Tiens, je te donne un robot, à toi de l'humaniser"... Et l'on sera content. Avec des adultes sans repères. Des "hommes nouveaux". Ca me rappelle d'autres régimes, moi...


La démocratie respecte les hommes bornés, à coup sûr. Des citoyens. Et personne n'a besoin de produire un quelconque diplôme pour voter. Quoique; en Turquie, ce sont des hommes instruits qui divaguent. De là à vivre en fonction de leurs rêves ne devrait pas être non plus un mode de gouvernement. Oui à l'expression de la bêtise, non à son imposition. Et si la bêtise s'emparait de l'électorat, pourrait-on penser, que faire ? Bah... rien. Les plus grands adversaires de la démocratie sortant parfois des urnes. Cette perspective est assez loin pour l'instant; le CHP ne décolle toujours pas dans les sondages. Heureusement, cela dit. Un tel parti "social-démocrate" aux affaires, serait la suprême bêtise. Une meilleure démocratie, c'est une démocratie sans CHP. Une bonne démocratie, c'est une démocratie avec un CHP dans l'opposition. Un régime avec le CHP à sa tête ne s'est jamais appelé démocratie en Turquie; il suffit de feuilleter l'histoire... Pardonne-leur Mustafa Kemal...

lundi 20 juillet 2009

Sabordage

La guerre des tranchées a repris. L'institution judiciaire turque est encore une fois au centre de la polémique. Le Conseil supérieur de la magistrature (Hakim ve Savcılar Yüksek Kurulu, HSYK) a décidé de venger tous ceux qui ont été "dérangés" à l'occasion de l'instruction de l'affaire Ergenekon; depuis une semaine, les magistrats qui y siègent et qui sont chargés des avancements et mutations sont en conclave. Extraordinaire. Une routine, en réalité. L'un est catapulté à Diyarbakır car trop veule, l'autre prend du galon car il défend à merveille les intérets de l'Etat et le plus poussiéreux regagne la Cour de cassation, histoire de terminer sa carrière en beauté.


Mais voilà que le HSYK s'est donné une autre mission : débarquer les juges qui dérangent l'Etat profond : les juges de l'affaire Ergenekon et ceux de l'affaire des charniers retrouvés dans le sud-est de l'anatolie et qui, à en croire les premières investigations, seraient le résultat des exécutions extra-judiciaires. Et les officiers de l'armée qui ont fait les cimetières bossus sont inquiets, évidemment. La fin de l'impunité. Et les juges de l'Ergenekon sont trop bouillants. Ils embarquent tout le monde. Il fallait donc étouffer. Ca tombe bien, un haut magistrat du HSYK est lui-même impliqué dans l'affaire Ergenekon... Ce même conseil avait, jadis, mit à la porte un juge d'instruction qui avait mentionné le nom du chef d'état-major de l'époque dans une ordonnance de renvoi; le Général était mécontent. Il fallait donc le dérider illico presto. Le juge fut révoqué...


Et voilà que le Président de la Cour de cassation vient donner une leçon de droit constitutionnel au Parlement. Le Parlement qui vient de voter une loi qui permet aux juges civils de connaître dans certains cas des affaires où sont en cause des militaires. Cette fameuse loi que le CHP a votée par mégarde. Et tout le monde a peur. Même les députés sont tout penauds; "p'tain, qu'est-ce qu'on a fait !" Evidemment, la Cour constitutionnelle est saisie, le CHP n'étant pas d'accord. Et quand le CHP n'est pas partant, tout doit s'arrêter.


Cette loi est, à en croire tous les juristes sensés, contraire à la Constitution. Ce n'est pas que la loi est mauvaise, c'est l'article de la Constitution qui est démodé. Une bonne disposition qui va certainement tomber à cause d'un mauvais article, tout cela au nom du positivisme juridique. Le juge constitutionnel applique le texte, point. Mais de là, à entendre le Président de la Cour de cassation qui n'a théoriquement rien à dire, sermonner le Parlement, voilà une bizarrerie : "la loi est contraire à la Constitution, il suffit de savoir lire, c'est comme le nez au milieu de la figure !" Le vice-premier ministre, Cemil Ciçek, l'a rappelé à l'ordre : "ta gueule !", "bah nan, j'ai le droit de dire ce que j'estime juste pour le système juridique, pfff !", "ta gueule !", "nan j'te dis, je déclare la fronde ouverte !"... Le voilà convoqué à la Présidence de la République.


Et voilà l'ancien procureur près la Cour de cassation, Sabih Kanadoğlu, qui entre en scène : "je m'adresse aux magistrats, cette disposition est contraire à la Constitution, alors appliquez directement la norme suprême et laissez la loi de côté, on s'en fout !". Quand le Sieur Kanadoğlu parle, tout le monde se tait; c'est qu'il a l'oreille des juges constitutionnels. Et les constitutionnalistes restent bouche bée. Tiens, voilà une nouvelle théorie; "à quoi servirait la Cour constitutionnelle du coup dans ton système si chaque juge de province peut déclarer une loi inconstitutionnelle ?", "on verra après, pour l'instant, on doit sauver les militaires"...


La justice se rend en fonction du client; alors on n'hésite pas à chambouler toutes les règles fermement établies et à user outrancièrement des "revirements de jurisprudence". Tiens, voilà que la Cour de cassation vient d'élargir le concept de "liberté d'expression". "Youppi", "doucement, doucement". La Cour a estimé que proférer des termes du type "caniche", "idiot", "con", "pitoyable" relevait de la liberté d'expression ! On aurait presque envie d'écraser une larme. Une Cour si libérale ! Mais voilà que l'on apprend que celui qui vient donc de perdre le procès n'est autre que le politologue libéral, Baskın Oran. Celui qui appelle à la reconnaissance du génocide arménien et qui défend bec et ongles les droits des Kurdes. Insulter un type de cet acabit, liberté d'expression ! Et les journalistes de demander à ces mêmes juges : "et si on vous insultait de cette manière, votre décision serait la même ?", "on verra après, pour l'instant, on sauve l'Etat unitaire"...


Un jeu, en réalité. Pas de doute. L'on joue à l'Etat de droit. Et ce même juge dira dans son discours de rentrée judiciaire que la justice est menacée par les politiques qui veulent la déstabiliser, l'idéologiser, etc. Et le Premier ministre assistera à la séance, les paupières tombantes comme à son habitude; ce même Cemil Ciçek sera sans doute dans l'assistance. Et il éclatera de rire, peut-être. Et nous, avec lui. Les juges se sont donnés pour mission de défendre coûte que coûte la citadelle; le régime, soit disant...


L'institution judiciaire est, comme on le sait, la plus noble des institutions. La plus sacrée. Elle assume une fonction divine, en effet. Assurer la justice. La justice terrestre, précisément. L'ombre de la véritable justice. Mais bon, un intérim nécessaire. Le désespoir s'atténue quand on sait que la Justice sera rendue, tôt ou tard. Bien sûr, ce sont des humains qui oeuvrent. Il faut donc s'attendre à tout; le charisme divin ne descend plus de nos jours, c'est ainsi. J'ai toujours pensé qu'il fallait changer la dénomination des cours de justice. Pour les appeler, cours de droit; avec un ministère du droit. A Assas, on avait reçu le prêtre-ouvrier rescapé de l'affaire d'Outreau, Dominique Wiel. Il donnait une conférence aux "futurs magistrats"; et comme je me prépare également au concours, faute de ne rien faire d'autre, j'étais venu l'écouter. Il était en colère, c'est le moins que l'on puisse dire. Et cette colère se décupla devant des magistrats en herbe. Il avait eu cette pensée qui vient tout droit d'un cerveau d'ecclésiastique : "je n'arrive toujours pas à comprendre au nom de quoi des hommes peuvent juger d'autres hommes". Très naïf, en réalité. Comment faire alors si personne n'assure "l'intérim" jusqu'aux grands procès de l'au-delà ? Aucune réponse. Pis, aucune réflexion possible.


Et pour être juge, il faut avoir des repères. Etre quelqu'un de supérieur aux autres. Vous allez les juger. Il y a du sacré, évidemment. Antoine Garapon disait : "c'est en termes de réflexivité plus que de souveraineté qu'il faut penser la légitimité du juge" (Bien juger. Essai sur le rituel judiciaire); car le juge, en prêtant serment, a accepté d'être jugé par Dieu. La fameuse justice de Cambyse. Ou de Salomon, celui doté d'une "intelligence juridique reçue d'en haut" comme le disait Jean Carbonnier. Et Saint-Paul n'apaise pas : "celui qui juge est sans excuse".


Il dit surtout : "bien juger réclame d'abord non pas tant une progression vers la décision qu'une régression vers ce jugement déjà là, ce préjugement, sinon ce préjugé". D'où le fameux bandeau. Lorsque la Cour constitutionnelle turque avait déménagé dans ses nouveaux locaux, l'opinion avait pu voir la nouvelle statue qui représente la Justice. Mais un truc clochait : elle n'avait pas les yeux bandés... Et tout le monde était content. On continue à jouer.


mardi 14 juillet 2009

Idiotisme

Nous revoilà plongés dans les ténèbres. La Turquie a eu peur. Un véritable attentat. Un groupuscule de primesautiers "éveillés" a voulu contrarier le concert donné par la pianiste turque de renommée mondiale, Idil Biret, au Palais Topkapı.


Le Palais impérial. Un lieu où se trouvent ce que l'on appelle les "kutsal emanetler", les objets ayant appartenu au Prophète : un poil de barbe, sa douillette, son empreinte de pied, la poignée de son épée, etc. Bref, un espace jugé (à tort ou à raison) sacré par la communauté (tout en sachant que l'authenticité de certains objets exposés est équivoque mais chut ! Ilber Ortaylı, le directeur du Palais, ne veut rien entendre...). Un concert dans ce haut lieu. Rien de grave. Un Palais, après tout. Mais ce qui a irrité ces troubleurs, c'est que la publicité de ce concert a été assurée par une marque d'alcool. La musique classique et l'alcool, voilà une composition qui en dit long sur le niveau des organisateurs mais bon. Nos compères se sont donc limités à brûler les affiches. Mais voilà : le feu rappelle des choses, en Turquie...

Et bien sûr, c'est la faute au Gouvernement AKP, islamiste, intégriste, terroriste, forcément anti-Lumières, un mélange de philistins et de bovins comme on le devine. Des policiers agressent des couples trop "rapprochés" dans la rue, c'est encore la faute au Gouvernement. Evidemment. Il a contribué à créer cette ambiance, nous dit-on. La pression sociale. Un peu du genre je suis tombé par terre, c'est la faute à Voltaire, le nez dans le ruisseau, c'est la faute à Rousseau. D'accord. Et lorsque la Turquie entière avait appris que la fille du Premier ministre "islamiste" prenait des cours de chant et de violon, ce fut presque l'indignation chez certains, "elle n'a pas le droit, dans notre scénario, elle devait être soumise car voilée !", "mais si j't'assure, joue ma fille !", "tu mens, elle devait être bête, obscurantiste, humiliée, captive !" Pathologique. Si si, certains ont eu l'audace de penser ainsi... Une révolution verte aux sons du violon, un orchestre et Abdullah Gül en chef d'orchestre, qui serait contre ?

Mais comme on l'a dit, les "sorties" de ce genre font peur, en Turquie. C'est que le passé est susurrant. La raison : les "événements de Sivas" comme on dit. En 1993, près de 30 personnes périrent dans un incendie provoqué par des criminels réactionnaires pour le coup, car agissant au nom de l'islam. L'incendie de l'hôtel désormais célèbre, Madımak dans la ville anatolienne de Sivas. Une horde d'écervelés avait pris prétexte de la présence d'Aziz Nesin, le fameux athée turque qui avait "osé" traduire les Versets Sataniques, pour semer le désordre et finalement provoquer la mort de dizaines d'intellectuels, chanteurs et artistes alévites. Le petit père Nesin s'en était sorti. Et l'ombre de cette séquence de l'histoire nationale resurgit à chaque fois que quelques bonhommes entament une manifestation aux cris d' "Allah'u ekber", Allah est Grand.

Bien sûr, l'on se désole. Pour Mme Biret. Pour l'image de la Turquie. Pour l'islam. Le feu et l'islam. Révolté de les voir toujours côte à côte. C'est que les gens les plus colériques sont également les plus incultes, comme on le sait. Une cervelle remplie dans la vacuité. Et ce sont surtout les "idolâtres de la forme" qui se convulsent toujours excessivement. Maladroitement. Parfois, criminellement. Comme si les musulmans manquaient de modèles. Il suffit de fermer les yeux; et de penser à ce que le Prophète aurait fait à cet instant. Et il aurait fait ce qui sied le plus naturellement à un homme bien élevé, intelligent et doté de raison car il était fondamentalement bon.


Visage sourcilleux ! Tout sauf islam. Il faut savoir suivre, assurément. Et l'on ne protège ni Dieu ni son Prophète, la machette à la main. Point n'est besoin d'escorte. On ne paladine pas en religion.

samedi 11 juillet 2009

Bricolage

Il s'en passe des choses du côté de la masculinité. Plus exactement du côté de sa "liqueur séminale". L'affaire des chercheurs, évidemment. Ceux qui, dès le départ, acceptent de blanchir sous le harnais; et qui trouvent un "truc" de temps en temps dans leur longue et austère carrière. Voilà une trouvaille de ce type : les Britanniques ont réussi à créer du sperme à partir de cellules souches embryonnaires. Ces fameuses cellules souches, celles qui incendient les relations entre le Pape et ses ouailles indisciplinés. "Interdit ! on ne joue pas avec Dieu !", "c'est toi qui le dis"...


Désormais, les femmes pourraient donc faire des bébés sans les hommes; sans subir leur présence physique. On arrive déjà à les faire pondre sans contact charnel, grâce aux tubes mais il faut toujours la semence d'un homme : la fameuse fécondation in vitro avec ou sans donneur. Dorénavant, finies toutes ces longues procédures, nous dit-on; il suffit d'avoir un embryon. Et comment a-t-on un embryon sans un homme, je n'ai toujours pas compris. Alors, les discussions ont repris de plus belle sur l'utilité des hommes : "ouais, de toute manière, un homme ne sert qu'à une chose, après, ils s'en foutent de nous !", "dis pas ça, j'ai besoin d'avoir un homme, il m'apaise, moins stressé, plus drôle; un homme, c'est mignon, nan ?".


Est-ce le souhait suprême d'une femme que d'avoir un enfant ? A lire les jurisprudences, la réponse est oui tant les montages juridiques sont sophistiqués pour pouvoir adopter, louer le ventre d'une autre, avoir le sperme d'un autre, etc. Et l'homme dans tout ça ? L'on dit souvent que les femmes sont celles qui désirent le plus l'enfant dans le couple. C'est comme ça. Elle veut procréer. Procréer, le mot est presque divin. Divine femme. L'homme suit.


D'autres scientifiques se bousculent également pour présenter leurs travaux; ainsi, l'on apprend que les femmes doivent se fier aux moches pour avoir des chances d'être mères. En effet, les moins beaux seraient plus dotés en spermatozoïdes; la science fait des merveilles. La belle et la bête. Les Adonis seraient trop "usés" à force de manger à tous les râteliers. Voilà que les Allemands disent autre chose : les bons danseurs font de meilleurs mâles. Car bien bâtis. A la recherche des mâles, nous assistons. Mais l'on s'y perd. "Lâche ton bossu ! La science a changé d'avis"...


Et les hommes alors, que préfèrent-ils ? La beauté, avant tout. Désolé, c'est comme ça. Les formes comme dirait le païen; "tiens, d'ailleurs, regarde ces types, ils n'ont pas honte, hein !"


Les femmes veulent des enfants, les hommes veulent des femmes, les enfants de leur côté vagissent sans cesse et veulent un sein. Leurs pères aussi d'ailleurs. Les homosexuels veulent devenir parents, les blonds recherchent des brunes, les bruns préfèrent les blondes. Et personne ne veut les "difformes". Cela tombe bien, les diagnostics prénatal et préimplantatoire permettent d'éviter les "erreurs". Un imbroglio. Et le Conseil d'Etat ne cesse d'avoir le mot "bioéthique" à la bouche avec cette rengaine aseptisée : "nous comprenons les familles en détresse mais on ne peut pas céder, c'est contraire à nos principes, vous savez ceux de l'indisponibilité du corps humain et de l'état des personnes, allez ma cocotte, c'est un principe"... Pour une fois que l'on a des principes là où il faut. In saecula saeculorum.


Il arrivera un jour où les couples se donneront rendez-vous à l'hôpital pour s'accoupler par tubes interposés; alors, on choisira la couleur des yeux et des cheveux. Et tout le monde sera beau et gentil, du coup. Et les maladies n'existeront plus. Et l'on vivra, longtemps. Et l'on aura beaucoup de bébés. Le Paradis se trouve dans les entrailles des mères, assurément... Mais du coup à quoi servirait l'amour, un paradis à lui seul ? Les scientifiques n'ont plus d'idées. Heureusement que j'ai un imam sous la main : "Je te dois enfin d'avoir acquis la certitude que les traités de jurisprudence se référant aux quatre écoles juridiques, ou les cinq ou les six, qu'importe, ne sauraient contenir cet instant d'illumination atteint par un homme et une femme dans l'intimité !" (Le Jour dernier, confessions d'un imam, Racha Al-Ameer). Trop théologique, évidemment. Ovide le dit mieux, lui, un pervers patenté : "Si tu veux m'en croire, lecteur, ne hâte pas le plaisir de Vénus..." (L'art d'aimer, Livre II).

jeudi 9 juillet 2009

Eloge de l'étiquette

Je ne suis pas prince; malheureusement. Mais l'on dit dans la famille que notre clan, les Dzassokhov ou Dzansokhta, a de la branche; j'ignore si c'est une fable que l'on s'invente pour estomper un éventuel complexe ou s'il s'agit simplement du ronchonnement d'une vieille famille aristocratique qui n'en peut plus d'être traitée comme les autres. "Bah si hein, regarde notre cousin était Président de l'Ossétie du Nord donc on est noble !", "euh... c'est quoi le rapport ?", "chez nous ça fonctionne par clans, si notre clan a été porté au pouvoir, c'est que c'en est un d'importance". Bon. Pourquoi pas, à la limite. Une noblesse sans soie ni domaine mais bon. Nous serions donc du bois dont on faisait les "beys".


En réalité, tout Ossète se dit noble. Pour retourner l'expression d'Ernest Renan, on peut dire que l'Ossète n'aime que le distingué, il ne sait faire que de l'aristocratique. Jadis, les critères linguistique et religieux étaient à la base de la civilisation grecque; chez nous, c'est la manière d'être, le droit du sang, la noblesse de l'âme qui prévalent. Car la noblesse s'acquiert par l'être, comme on le sait. Ni par le savoir ni par l'avoir ni par le paraître; quoique les nobles d'aujourd'hui attachent beaucoup d'importance à cette exposition, "regarde, je mange avec trois fourchettes et trois cuillères, qu'est-ce t'en penses ?". Et Madame la Comtesse de Rothschild publie sans arrêt, il faut lire ses remarques. Elle donne même des cours; aux rejetons des dictateurs africains et asiatiques... Les nouveaux raffinés...


Les incivilités, les privautés, le trop d'aisance sont strictement prohibés. Sont ou étaient, j'hésite toujours; aujourd'hui, ça s'atténue, "et puis ras le bol à la fin, je veux vivre, moi !" Bon bon. Mon père aurait été une bonne référence pour écrire un livre de savoir-vivre version ossète. Il y tenait beaucoup. J'ai toujours eu l'impression qu'il était bien le seul. Et nous, nous devions suivre; "allez papa, regarde les autres, ils sont cool entre eux; pourquoi nous, on a l'air d'assiter à un politburo !"... Une étiquette tirée au cordeau : on ne tourne jamais le dos à un plus âgé, on ne croise jamais les jambes, on ne met jamais les mains dans les poches, lorsque l'on sert de l'eau, on ne part jamais sans l'autorisation du buveur, il fut un temps où l'on ne devait pas s'asseoir sur la même longueur, alors on recherchait une chaise en face ou dans un coin à droite (jamais à gauche !), on ne doit évidemment pas s'affaler sur le fauteuil, on n'éclipse jamais un "sage" ni par la parole ni par un geste quelconque. Pour la salutation entre sexes opposés, on ne se touche pas, comme dans la bonne société française du 19è. L'évolution la plus marquante est celle de l'accompagnement à la fin des visites de nuit : jadis, celui qui recevait devait conduire son hôte jusqu'à sa voiture; ensuite, on s'est contenté de descendre avec lui mais sans dépasser l'entrée et aujourd'hui, on expédie planté au seuil de la porte. "Allez au revoir, oui oui, c'est ça, allez..."


J'avoue que la différence avec les Turcs saute aux yeux, moins orthodoxes, plus tranquilles, plus conviviaux. Chez nous, c'était la retenue. L'on ne plaisante jamais avec un "vieux". Et mon père était glacial avec nous en présence d'étrangers. Il faut de la rigueur. Il y a des "intégristes", aussi. Des brus qui n'adressent jamais la parole à leurs beaux-frères. Malgré mes supplications. Alors, on se met à établir un code de comportement pour saisir ce qu'elle raconte en dodelinant la tête, "tu veux quoi, hein, vas-y, il est aux latrines, il n'entend rien"... Autre anomalie quasi-disparue : le fait d'ignorer sa progéniture devant son propre père; mon grand frère était incollable devant mon père, combien même mon neveu pleurait toutes les larmes de son corps. La loi d'airain, cela s'appelle. Quand on pense qu'en Occident, les enfants en sont venus à appeler leurs pères par leurs prénoms...


J'ai l'impression que l'on est plus ossète que les Ossètes d'Ossétie. J'ignore s'ils sont toujours à cheval sur les principes "éternels". C'est le réflexe des minorités, sauvegarder jalousement et aveuglément leur plus particulière coutume. Ne pas s'assimiler. Les Ossètes ne sont pas assimilés en Turquie, ils sont intégrés. Le village de mon père ne compte aucun Turc. C'est comme ça. Et les Turcs des parages nous le rendent bien; nous sommes, pour eux, de la "semence russe". Nous, des Russes ? Ils ne savent pas les distinctions d'usage qu'il faut employer pour les peuples du Caucase. Tout le monde est Russe, pour eux.


Bien sûr, d'autres règles régissent les activités sociales; par exemple le mariage : la pratique ressemble beaucoup à celle de la société française du 19è : ce sont les parents qui demandent la main de la jeune fille, existe la pratique du trousseau, de la corbeille et de la dot (le "mihr", obligation islamique de verser une somme d'argent à la femme, et elle seule en fixe le montant); les fiancés peuvent se voir seul à seul mais ne peuvent loger dans la même maison (même si le mariage religieux a été célébré, on attend toujours le mariage civil). Et le sexe n'est jamais évoqué; "politesse oblige" comme dirait l'autre.


Je connais encore des familles où les unions mixtes font grincer des dents. Une peuplade de bêcheurs. La véritable politesse, c'est celle que l'on s'applique même en l'absence des tiers. Se sentir toujours épié; et donc être toujours "comme il faut". La politesse que l'on expose n'est rien d'autre que de l'hypocrisie en costume de bal. Et le cocasse dans tout cela, c'est que des gens paient pour sembler raffinés. Mais pour un Ossète fossilisé, la caque sent toujours le hareng... Rien à faire, des cas désespérés.

mercredi 1 juillet 2009

Changer de saison

L'on savait bien qu'il nous "baratinait"; Deniz Baykal, voyons, le chef du parti kémaliste. Un social-démocrate; depuis plus de 40 ans. Lui, c'est un homme politique ! Depuis 40 ans, il essaie d'arriver au pouvoir. Et à chaque élection, il s'enfonce. Mais il ne rougit jamais, il est "cool", au contraire; après chaque élection, il reste quelques jours cloîtré chez lui avant de faire une "déclaration". Toujours la même, cela dit : "notre parti entame une nouvelle phase d'affermissement". Un parti qui date des années 20. Il monte la pente depuis 80 ans. Et quand je dis que même galéjer doit avoir un code; une allure.


Monsieur Baykal avait déclaré, il y a quelques jours, qu'il était prêt à soutenir un projet de loi qui annulerait l'article 15 de la Constitution qui accorde une amnistie aux putschistes de 1980. Le Premier ministre, toujours aussi suspect, avait lâché : "nous n'avons pas la tête à la rigolade". Et l'ancien président de la Cour de cassation, le célébrissime et très écouté Sami Selçuk, avait, de son côté, fait part de son exaspération : "c'est une amnistie, comment un Etat peut-il revenir sur une amnistie sans perdre sa crédibilité !" Et le principal intéressé, le putschiste Kenan Evren, un nonagénaire, avait été on ne peut plus clair : "si le peuple se prononce par référendum sur cette annulation, je ne laisserais jamais les tribunaux s'emparer de mon cas; je me suiciderais !" A faire pleurer la ménagère. Un député, visiblement très remonté (mais quand ne l'est-il pas le Sieur Kamer Genç), lui avait lancé : "personne ne te tient"...


Et voilà que le Parlement a voté, à la sauvette, une loi permettant de faire comparaître les militaires devant les tribunaux civils (en Turquie, les militaires ayant leur propre juridiction, Cour de cassation et Conseil d'Etat compris); ce même Baykal s'est immédiatement révolté : "Jamais, vous entendez, nous allons saisir la Cour constitutionnelle, vous n'aurez jamais les militaires ! Laissez-les tranquilles !" Ecarlate ? Non. Toujours pas. Sa peau n'arrive pas à s'empourprer. C'est avantageux, cela dit.


Cette loi était à l'origine une proposition et non un projet; donc issue d'une initiative parlementaire. Et le clou, c'est que même les députés du CHP ont voté pour. Il faut dire que la séance s'est tenue à deux heures du matin. D'ailleurs, à un journaliste qui lui demandait si l'attitude de son parti n'était pas bizarre, un responsable du CHP répondit : "tu sais, la nuit, on est fatigué, la vigilance intellectuelle s'atténue, hein. Donc on a voté par mégarde". Voter par inadvertance. Un nouveau passe-temps... Heureusement que l'on est assuré que la Cour constitutionnelle censurera. Ouf.


Les militaires, de leur côté, sont mécontents; ils en ont assez d'être critiqués parce-qu'ils font leur boulot : des préparations de coups d'Etat. "Eh ben quoi alors ! On a le droit, nan ! Et la République laïque ! Atatürk nous l'a confiée, alors oust !" C'est vrai qu'une loi permet à l'armée d'intervenir pour sauvegarder les principes constitutionnels de la République. C'est comme ça. Et alors, on retombe dans les discussions interminables sur la place de l'armée dans une démocratie normalement constituée; et le gouvernement en a assez, il veut se focaliser sur l'économie mais les journalistes et le CHP ont peur de s'ennuyer, ce faisant. Alors, on a droit au choral périodique sur le rognage de la République. Tiens, en France, on vient d'apprendre qu'un officier de la gendarmerie qui a critiqué le projet de rappochement police-gendarmerie avait été convoqué au conseil de discipline pour avoir manifesté "une désapprobation claire vis-à-vis de la politique conduite par le gouvernement ". Comment de ne pas être jaloux !


A l'heure où Matthew Bryza reconnaît que la Turquie est une puissance régionale et qu'il n'est plus possible pour les Etats-Unis de faire pression sur elle, à l'heure où le ministre de la culture Ertugrul Günay en arrive à discuter indirectement de l'homosexualité avec Frédéric Mitterrand, à l'heure où l'on apprend que les hommes turcs les plus "sexy" se trouvent à Izmir et les plus frustrés au fin fond de l'anatolie, à Konya et à l'heure où la pimbêche nationale Hande Ataizi, déclare vouloir un homme comme Sarkozy, l'excès de "gravité inutile" est vraiment frustrant. L'on devient une société de plus en plus libre, on entend des paroles de plus en plus grivoises, on devient un modèle de société pour les nations arabes mais l'on n'arrive toujours pas à s'apaiser sur le plan politique et idéologique.


Il faut savoir passer à autre chose, vraiment. Il faut que certains hommes politiques soient politiquement liquidés. Qu'ils disparaissent du décor. On en a marre de vivre avec leur cauchemar. Vraiment. Et de dénoncer à chaque fois les mêmes choses. "Elle est folle Hande, Sarkozy, il est contre la Turquie ! Allez, on va la caillasser !"...