jeudi 28 janvier 2010

Liberté pour le niqab !

C'est que le petit père Copé insiste. Il veut une loi. Et 190 députés portent sa livrée. Il est content. Non pas parce-qu'il fait avancer une quelconque cause mais parce-qu'il montre tout simplement à celui qu'il envie le plus, Nicolas Sarkozy, qu'il a des biceps. Démonstration de force. Le Nargueur. Pure politique. Mais c'est une liberté qui est appelée à trinquer...


Nous vivons dans un des rares pays où l'on se permet de "réfléchir" avec ardeur et bonne humeur sur la violation de la liberté religieuse (rappelons-nous la presque désolation nationale lorsque nos députés avaient abrogé "par inadvertance" le texte qui aurait permis la dissolution de l'Eglise de scientologie). Un délire national. Chacun gourmande comme il peut. C'est qu'il faut apaiser le "peuple". Celui qui fixe du regard la femme trop voilée qui passe par-là, celui qui pense sincèrement défendre la dignité de la femme, ou encore celui pour qui l'islam est une bête d'aversion. Le débat sur l'identité nationale nous a permis, elhamdulillah, de constater que nombre de nos concitoyens non-musulmans n'étaient en réalité que des démocrates de carton-pâte. On a vendu de l'anti-musulman sur la voie publique. Et personne n'a sifflé la fin de la récréation. Adieu Monsieur Sarkozy. "Tiens, j'voterai en musulman à la prochaine élection", "arrête de dire ça, c'est contraire à la Constitution, pas de communautarisme coco, tu me fais peur"...


Des politiques nous ont arrosés de "bourdes" tellement mémorables que l'on s'est demandé s'il ne fallait pas creuser un peu plus du côté de l'inconscient; des philosophes ont dit des choses. Evidemment. Ils sont payés pour tenter de plaquer leur théorie sur la vie des gens. Les "amis de la sagesse". D'autres "spécialistes" s'amusaient à discourir sur la psychologie de ces femmes, nécessairement soumises par le mari ou le frère ou le père et subjuguées par l'imam du coin, un intégriste, fondamentaliste, salafiste, wahhabite. Bref, les fameux "testeurs de la République".

Evidemment, "l'objet" du crêpage, les femmes niqabées, n'ont pas eu à ouvrir la bouche; c'est que précisément, elles n'étaient pas libres. Et quand Kenza la Niqabée assuma un choix individuel, personne n'écouta, on parla immédiatement d' "exception"; histoire de ne pas remettre en cause notre belle théorie, un gagne-pain... Nul besoin donc d'interroger une bête. Les "Républicains" les défendaient. Un joli parterre : féministes, laïcistes, racistes. Et le meilleur pour la fin, les membres de la mission d'information, ont fini en beauté : en s'écharpillant eux aussi. Les Myard, Gerin, Raoult, Glavany, etc. Les socialistes se sont rendus compte que le débat ("légitime") sur le voile intégral était pollué par celui ("ignoble") sur l'identité nationale. Bien. Et s'il y a bien, aujourd'hui, une mode pour la droite, c'est de se dire laïque quand l'islam est en cause...


Tout le monde est donc d'accord : on doit aimer la République. Ca ne me botte pas. Je n'ai évidemment rien contre la République (même si le système monarchique avait mes faveurs dans ma tendre jeunesse) mais je m'oppose à son adoration. Je suis partisan d'un Etat qui n'a aucune coloration, aucun penchant idéologique (si ce n'est le libéralisme politique qui doit être la "fitra" de toute société); un Etat sans inconscient. C'est l'individu qui prime pour moi, son épanouissement, pas des concepts. Concept de République dont, d'ailleurs, les principaux piliers sont malmenés : la Liberté fait doucement rire dans un pays où la moitié de la population a connu la garde-à-vue. L'Egalité n'est plus prise au sérieux depuis bien longtemps. Et on reparlera de la Fraternité quand les clochards ne mourront plus dans les rues...


La liberté individuelle prime. Et je persiste à rappeler le modèle américain où "la règle générale est que le citoyen dont la sensibilité est blessée par une expression politique (un drapeau piétiné, ou mutilé, ou brûlé) ou religieuse (un foulard, un turban, une kippa), voire raciste (les incendies de croix du Ku Klux Klan, pour autant qu'ils soient pratiqués sur un terrain privé) n'a aucun droit à être protégé dans ses émotions (par opposition à sa vie, à sa liberté ou à sa propriété qui, elles, doivent être protégées par l'Etat contre les atteintes des tiers); en matière de tort psychologique, c'est à lui de se protéger lui-même en n'y prêtant pas attention et en restant indifférent" (Elisabeth Zoller, "Les rapports entre les Eglises et les Etats aux Etats-Unis : le modèle américain de pluralisme religieux égalitaire", in Gérard Gonzalez (dir.), Laïcité, liberté de religion et Convention européenne des droits de l'homme, Bruylant, 2006, p. 45).


A partir du moment où une femme décide, conformément à sa propre lecture coranique, de porter librement le niqab, elle mérite aussitôt le respect au nom de la liberté de religion. Toujours en vigueur dans ce pays. Mais ce n'est pas parce-qu' il y a trois femmes qui le portent par la contrainte que l'on doit interdire ce vêtement. Ca revient à prohiber la vie commune parce-qu'il y a des violences conjugales ! Personne n'est obligé de vivre selon ce qu'Elisabeth a dit, ce que Caroline a souhaité, Dounia rêvé, Rousseau prévu...

Dire que c'est une atteinte à la dignité humaine voudrait dire que c'en est une dans tous les coins de la planète; tous les recoins de l'universel. Sauf à considérer que la dignité en France ne saurait être la même que celle conçue dans d'autres pays. Les pays dont les habitants n'ont pas pu "entrer dans l'histoire" par exemple. Du relativisme à l'envers ! J'imagine les diplomates à la tribune du Conseil des droits de l'Homme ou de l'Assemblée générale des Nations-Unies; à n'en pas douter, la délégation française se fera huer... Tiens, parlant de dignité, il faudrait mettre sur pied une mission pour savoir comment on peut "sauver" les moines silencieux de la Grande-Chartreuse aussi, ils sont privés de parole, c'est inhumain tout de même ! Mais personne ne bougera le petit doigt, bien sûr : ils font partie de l'identité française... On est même en extase devant ce sacrifice, c'est dire...

C'est tout de même ubuesque : tout le monde est unanime pour affirmer qu'une interdiction générale et absolue du voile intégral serait retoquée par le Conseil constitutionnel ou la Cour européenne au nom des libertés fondamentales mais tout le monde insiste quand même pour trouver une "astuce" et l'interdire ! C'est la première fois que l'on assiste en direct aux "travaux préparatoires" de la violation d'une liberté fondamentale, la liberté de conscience ! Nous sommes en pleine cuisine liberticide ! On rêve ! "Allez arrête de chialer pour ces femmes ! Regarde, même en Egypte on ne les considère plus, ce n'est pas ici, en France, qu'on va verser des larmes !"...


L'Etat nous délivre des fatwas au mépris flagrant du principe de laïcité. C'est une question de droit de l'homme. Le syllogisme est biaisé dès le départ, nous n'avons pas les mêmes prémisses. On n'a à sauver personne. On a juste à protéger des êtres humains. "Mais qui t'a dit qu'on considérait ces femmes comme des êtres humains, mon petit ! Il ne manquait plus qu' ça ! On réfléchit à leur place"...