mardi 27 avril 2010

Qui veut noyer son chien l'accuse de la rage

Heureusement que François Mitterrand n'est plus de ce monde. Il serait gêné aux entournures devant cette polémique. C'est qu'il était bigame, lui. C'est qu'il profitait des impôts de ses concitoyens pour la protection de sa seconde famille. C'est que, lors de ses obsèques, il avait réussi l'exploit de faire pleurer la France entière en réunissant ses deux familles. Personne ne s'était caché. Au même rang, côte à côte. Il n'était pas "officiellement" bigame, évidemment. La loi s'y oppose. Dans la conception "occidentale", il ne sied pas de convoler en secondes noces. Mais lorsqu'il s'agit de tromper sa femme, autrement dit de forniquer (adultère, juridiquement), de louer un appartement pour sa deuxième famille, de partager du temps avec elle, bref de mener une autre vie de famille, rien ne s'y oppose. La cohérence de la modernité... On préfère donc les cachotteries à l'entretien en bonne et due forme de ou des autre(s) famille(s)... C'était l'argument du président sud-africain, cela dit : "ce que vous appelez "maîtresses" en Occident, on les appelle "épouses", ici". Et toc.

La Cour de cassation avait même ravi les coquins lorsqu'elle avait décidé que "n'est pas nulle comme ayant une cause contraire aux bonnes moeurs la cause de la libéralité dont l'auteur entend maintenir la relation adultère qu'il entretenait avec la bénéficiaire" (29 octobre 2004). Assemblée plénière, s'il vous plaît... L'adultère, un "événement purement privé", avait-elle ajouté dans son rapport annuel de 2004. Donc, lorsque ce n'est pas de l'officiel, c'est-à-dire en réalité, dans les situations les plus délicates, les moins protectrices des droits des femmes-maîtresses et de leurs enfants communs, c'est acceptable. Ca ne dérange personne. Mais lorsqu'il s'agit de rendre officielle une telle union, le Droit s'y oppose. "En catimini, mon p'tit, allez...". La Cour européenne, dans l'affaire Serife c. Turquie (20/01/2009, arrêt non définitif), avait donné raison à l'Etat qui refusait de verser la pension de retraite à la compagne du défunt. Compagne qui invoquait son "mariage religieux" (mais l'affaire ne portait pas sur une situation de bigamie). Pas officiel, pas de droits, a rétorqué la Cour (4 contre 3) : "Quels que soient les arguments de la requérante, plutôt que la durée ou le caractère solidaire de la relation, l'élément déterminant est l'existence d'un engagement qui va de pair avec un ensemble de droits et d'obligations d'ordre contractuel. En l'absence d'un accord juridique contraignant, il n'est pas déraisonnable que le législateur turc accorde une protection uniquement au mariage civil" (§ 29). Dans leur opinion dissidente, les trois juges dont Madame Tulkens, ma bien-aimée, protestaient : "la Cour a souvent eu l'occasion de préciser que la notion de vie de famille comprend tout autant les relations fondées sur le mariage que les relations de fait (arrêt Merger et Cros c. France du 22 décembre 2004, § 44) et que des situations de fait peuvent conduire à la reconnaissance d'une vie familiale conventionnelle là où les liens juridiques font défaut" (§ 3). Mais s'agissant de la bigamie, la Commission européenne des droits de l'homme avait refusé de l'inclure sous la protection de l'article 12 de la Convention relatif à la liberté de se marier (X c. Royaume-Uni, 22/07/1970).

Bref, polygamie de facto, permis mais polygamie de jure, une horreur (on peut appliquer le même raisonnement pour la polyandrie) ! Le mari de la Niqabée vient d'ailleurs de trouver la parade : "oui je trompe ma femme avec trois autres femmes et alors ? Le délit d'adultère n'existe plus, coco, je la trompe autant que je peux". Respect de la vie privée, cela s'appelle. Autonomie personnelle, aussi. Chacun est libre de participer à des partouzes, à des clubs d'échangisme, à des séances de sado-masochisme, pourquoi pas à de simples galipettes dans un cadre plus apaisé qu'est un second logement ?

Sauf à faire du mariage religieux, une infraction. Autant dire, une atteinte à la vie privée. Comme l'Etat est là pour s'adapter à l'évolution des moeurs, il devrait également commencer à cogiter sur ces questions. Encadrer juridiquement vaut toujours mieux que de s'enfermer dans de grands principes qui viennent tout droit des valeurs chrétiennes. Pourquoi la loi imposerait une normalité, celle d'être monogame ou monandre ? Car la polygamie est "dérangeante pour l'idée républicaine de la condition des femmes et incompatible avec le mode de vie dans notre pays" avait dit la Commission nationale consultative des droits de l'homme en 2006 (p. 34). "Idée républicaine de la condition des femmes". "Républicaine". Pathologie française, il faut absolument que ce mot apparaisse...

Cette affaire de la femme en niqab verbalisée pour conduite dans "des conditions non aisées" (Illégalité, nous a appris Maître Eolas) tourne encore une fois à une "papoterie" nationale sur le mode de vie des musulmans. Ca permet surtout de remettre sous les feux de l'actualité, la lancinante question du niqab.

Monsieur ferait partie d'un groupe islamiste radical, aussi. L'a-t-on vu ? Barbu, dégueulasse, costume à la saoudienne, horreur. "C'est un terroriste, j'pense !", "ouais moi aussi, ils veulent faire sauter la République !", "ouais, regarde, ils pillent la CAF", "arrête j'ai peur"... Et alors ? devrait-on se demander. Où est le problème ? Ils veulent l'application de la charia. C'est ce que le cour européenne des droits de l'homme appelle la liberté d'expression (Gündüz c. Turquie, 4/12/2003) : "Pour la Cour, ces propos dénotent une attitude intransigeante et un mécontentement profond face aux institutions contemporaines de Turquie, telles que le principe de laïcité et la démocratie. Examinés dans leur contexte, ils ne peuvent toutefois pas passer pour un appel à la violence ni pour un discours de haine fondé sur l'intolérance religieuse" (§ 48); "de l'avis de la Cour, le simple fait de défendre la charia, sans en appeler à la violence pour l'établir, ne saurait passer pour un « discours de haine »" (§ 51).

Pendant ce temps, le gouvernement de la République française a décidé de violer la Constitution et les conventions internationales auxquelles la France est partie. C'est qu'il veut passer en force. Le Conseil d'Etat avait dit des choses juridiquement sensées, pourtant. Tant pis, la base pousse; elle veut des sacrifices. Et comme Le Pen se revigore à chaque fois que le mot niqab passe au 13h, il fallait agir. Il ne vient à l'idée de personne de modifier la législation pour permettre la déchéance des Français de souche, aussi. Et rétablir le bannissement, aussi. Comme ça on en finira une fois pour toute, on déchoira directement Jean-Marie Le Pen qui vient encore une fois de dire des choses abjectes sur Vichy et les Juifs. J'avoue que les valeurs républicaines sont plus bafouées dans ce cas-là que dans un cas de fraude aux allocations familiales. Quoique dans un pays où 30 % des habitants se disent racistes, on n'est pas sorti de l'auberge...

Alors que la vie politique dans le continent européen baigne de plus en plus dans le racisme et la xénophobie, la France ne voulait surtout pas être en reste. Un pays dont le ministre de l'Intérieur est attrait devant un tribunal correctionnel pour injures raciales. Excusez du peu. Un pays où le Président de la République se destine éhontément à violer une liberté fondamentale au nez et à la barbe du Conseil d'Etat. Un pays où les femmes qui vivent selon leur impératif religieux reçoivent des torrents d'insultes dès que l'occasion se présente. Un pays où le "consensus républicain" est devenu synonyme de sacrifices pour les musulmans dans l'exercice de leur liberté de religion. On dérange tant ? Ne nous méprisez pas si ouvertement, au moins, faites cela dans l'art, nous possédons un honneur aussi, nous autres musulmans...

mercredi 21 avril 2010

"Tout va très bien Madame la Marquise"

Ca y est, une nouvelle aventure commence. Ca fait déjà sursauter. C'est que le Premier ministre Erdogan vient de lancer un débat public sur une vieille idée qu'il ne faisait que mâchée jusqu'alors : la présidentialisation du système politique. Et depuis, l'on dégorge à qui mieux mieux. Car comme on le sait, cet islamiste-fasciste-terroriste fait sa pâture de doctrines les plus dangereuses; c'est donc pesé : on se dirige vers un Etat autoritaire.


Les opposants de la vieille roche se sont immédiatement jetés sur les livres de droit constitutionnel, histoire d'avoir l'air intelligent et surtout malin. Car la critique sans argument, ça ne se fait pas, comme on le sait... Et le voici, l'argument : le système présidentiel va conduire à l'éclatement de la Nation et à un changement de régime. Rien que ça ! Car s'il est une tradition dans la classe politique turque, c'est de broyer du noir en permanence. Faire peur à la masse. Vaticiner. Et comme les Turcs sont, comme nous l'apprennent la théorie et la pratique (les nationalistes ne viennent-ils pas de casser le nez à Ahmet Türk et au ministre des ressources naturelles !), très à cheval sur les principes de l'intégrité territoriale et de l'indivisibilité de la République, ça fait toujours recette.


"Regarde, c'est écrit page 127, le régime présidentiel américain se combine avec le système fédéral t'as vu ! Quoi alors, les Kurdes font encore commencer à rêver, allez, enterre ton projet, s'te plaît !". D'autres essaient de faire peur, à leur manière : "Tu veux être Padichah hein, avoue-le !". Certains ressortent le spectre de la charia, un gagne-pain : "attation attation ! On bascule !". Les soutiens existent aussi; du type, la Turquie a une culture de l'homme fort, il n'y aurait donc aucun problème de greffe. Et c'est vrai, malheureusement...


C'est vrai que dans un pays où il y a déjà le système primo-ministériel, quel pourrait être le "plus" du régime présidentiel, c'est une question qu'on peut se poser. Puisque tout passe déjà par le Premier ministre. C'est même lui, en qualité de leader de l'AKP, qui avait "nommé" le futur Président de la République ! Son pote Abdullah Gül lui doit une fière chandelle, c'est un fait. C'est que jusqu'à la réforme de 2007, le Président de la République était élu par le Parlement. Parlement qui est aux ordres du parti majoritaire. Parti majoritaire qui est lui-même tenu d'une main de fer par son leader ! Un "Etat démocratique", officiellement...


L'actuel chef de l'Etat, dont personne ne sait encore la durée du mandat (7 ans conformément à la Constitution en vigueur au moment où il a été élu par le Parlement ou 5 ans conformément à la révision constitutionnelle de 2007 ?), doit se sentir bien utile. Un Président potiche (même si ses pouvoirs nominaux sont énormes mais à quoi bon ?) qui se retrouve un peu comme la Reine d'Angleterre, à sourire à droite à gauche, à saluer par-ci par-là, à ne rien faire de primordial. Deniz Baykal en a profité pour taquiner le Président : "c'est pas tes dents qu'on a besoin de voir, c'est ton implication dans ton rôle d'arbitrage !". Arbitrer quoi, cela dit. Son Premier ministre qui est en même temps son leader, son pote, son obligé ? Un Président-débiteur... Il vaut mieux garder un système où la Présidence de la République est le siège suprême de l'arbitrage, du symbole, du symbolique. Le Président de tout le monde. Qui parle peu mais bien, qui rassemble, qui rapproche. Un homme consensuel. Et surtout pas un politique en fin de carrière.


Le Premier ministre Erdogan est ainsi; il est passé maître dans l'art d'accumuler les annonces. Moi ça me rappelle un autre dirigeant d'une très vieille démocratie. Ce qui est bien dans ces pays, c'est que les citoyens deviennent tous de grands juristes, économistes, historiens avant de trouver un travail ou de quoi se nourrir. Les esprits s'ébrouent, les bras ballent, les estomacs gargouillent. Mais les dirigeants sont dans le cosmétique. "Dis pas ça ! Avec les régionales, les Français nous ont donné un signal fort, ils veulent qu'on interdise la burqa !", "ouais d'abord, et nous en Turquie, ils veulent que je sois Président comme Barack, valla !"... Prendre le pouls de l'opinion, cela s'appellerait. Allons donc. "On déplore un tout petit rien. A part ça, tout va très bien"...

dimanche 18 avril 2010

République des caïds

Faillite. C'est le seul mot qui tombe. Dans un coin de la France, au coeur de l'Europe, à quelques kilomètres de Paris, dans une "cité". Quelques blancs-becs violent une fille. Un crime. Dans un "local à vélos". Une vie détruite. Une psychologie à jamais meurtrie. La victime a "balancé". Porté plainte, en bon français. Résultat : les adolescents, en détention et la famille de la victime, repêchée.

La Secrétaire Fadela a offert une épaule; la Préfecture s'est démenée pour catapulter la famille dans un autre coin du territoire de la République. C'est que la cité a ses propres lois; l'article 1er du code dispose : "tu ne balanceras pas". Du coup, les accusés dans le jargon républicain deviennent des victimes dans celui de la zone. Un parent d'élèves croit savoir : "le viol est un tabou chez les musulmans. C'est la honte pour la famille et la jeune est mise à l'index toute sa vie". Chez les musulmans. Bref, une histoire de "prototype". Les musulmans préfèrent celer ce genre de choses et vivre dans un déshonneur intime; peu importe tant que les autres n'en savent rien. Car c'est "les autres" qui comptent avant tout.

Une cervelle qui a pondu cela. "Chez les musulmans". Il faut sans doute rectifier car cette affirmation n'a aucun sens; "chez les Maghrébins" ou "chez les Turcs" serait plus approprié. Car c'est une bassesse qui ne découle pas de la religion mais d'une certaine "manière de vivre". Comme les crimes d'honneur, en vigueur chez les Kurdes. Evidemment, pas chez tous les Maghrébins, Turcs ou Kurdes. Les travers des sociétés claniques où la perception est tout. Où le bonheur "exposé" n'est rien d'autre qu'une image. Un mirage.

La République, elle, en est toujours au tissu des dames. Et au sauvetage des hommes politiques. C'est rare, il faut en profiter : un procureur défend l'accusé. Quand c'est un ministre, pote de la "chef des procureurs", évidemment. Il ne faut pas semer la zizanie. Alors le talent est mis au service des acrobaties juridiques. "Alors injure raciale faite en public" a voulu introduire la partie civile que le procureur s'est jeté sur le devant de la scène. "Mais non voyons, d'où vous sortez cela ! C'est une injure raciale non publique mais comme on l'a enregistré à son insu, rien à espérer, allez"...

Faillite de la République. C'est flagrant. Les clans ont gagné. "Mais nan, ne dis pas ça, regarde, ils sont en tôle, les voyous !" a répondu Madame le Maire des Ulis. La République aime à sauver les gens, comme on le sait. Surtout lorsqu'il s'agit des musulmanes. Les lois, les attitudes, les paroles sont au service de l'émancipation. Emancipation de l'esprit, évidemment. Les conditions d'existence viennent après. C'est la conception spécifiquement française des droits de l'Homme : la liberté de penser. "Et le pain, qu'est-ce que t'en fais ?", "après après...". La République a donc sauvé la victime, ici. En aidant sa famille à changer d'adresse. En démissionnant, en somme. L'on savait déjà que les policiers de la République n'arrivaient pas à mettre les pieds dans certains coins de notre pays. L'on sait maintenant que la République organise elle-même des opérations d'"exfiltration" pour ceux qui n'arrivent plus à y vivre... La "rénovation urbaine" soi-disant. La "démolition des barres", soi-disant. "L'intégration", soi-disant. De quoi parle-t-on, franchement ? De quelle République ? De quelle égalité des chances ? De quel vivre-ensemble ? De quel Etat ? De quelle Nation ?

Faillite des musulmans, aussi. Pas parce-qu'ils ferment les yeux sur le viol, on l'a dit, c'est un mauvais raisonnement. Mais parce-qu'il y a, en toile de fond, une réalité : une absurde existence. Ce n'est pas parce-qu'ils sont musulmans qu'ils agissent ainsi mais c'est parce-qu'ils sont musulmans qu'ils ne devraient pas agir ainsi. Le musulman, c'est un modèle, avant tout. Le parangon authentique. Or le constat s'impose : absurde existence. Farniente, tranquilité, paresse. Comme on le sait, il n'y a ni chômage ni répit intellectuel dans l'islam. "Cherchez la science du berceau jusqu'au tombeau", "Mieux vaut pour l’un d’entre vous de prendre une corde et d’aller fagoter puis ramasser une cordée de bois qu’il transportera sur son dos, puis qu’il vendra, de sorte que Dieu lui épargne le déshonneur de tendre la main à un tel qui lui fera l’aumône ou la lui refusera", l'apologie du commerce, la valeur travail, etc.

"Ouais t'es bien naïf toi, on est dans la misère, pas de boulot, six frères et soeurs, promiscuité, aucune ambiance intellectuelle, comment tu veux qu'on s'en sorte !", "oui je veux bien mais si le Prophète te posait la question et que tu répondais ainsi, je pense qu'il t'aurait sermonné; ceux qui arrivent à créer leur propre monde dans un tel contexte, réussissent pourtant"... Rien ne peut brider la volonté. Evidemment, réussir ne signifie pas seulement obtenir un bon métier. L'éducation est beaucoup plus importante. La science, la culture dans tous les domaines, les valeurs, le savoir-vivre, tout cela compte davantage sinon plus. La maturité intellectuelle, la conscience islamique, il nous manque. Les grands savants arabes doivent se retourner dans leurs tombes. Bref, l'islam réprouve le désoeuvrement et la vacuité. Or il faut bien être ingrat dans la vie; on relève que ce fléau est le cachet des musulmans. Comme on le sait, ce qui définit le mieux quelqu'un, c'est ce qu'il ne dit pas ou ne fait pas. Il est tout de même navrant que les musulmans confirment souvent cette sentence. Complète désolation.

dimanche 11 avril 2010

"Révolutionnarisme"

Un groupe bigarré, on espérait. Histoire de constater que le mécontentement n'est pas l'apanage d'une seule chapelle. Mais non; toujours les mêmes. Les kémalistes. C'est-à-dire les conservateurs. Les tenants du "statu quo"; "statükocu" disent les Turcs. Pour le ban et l'arrière-ban kémaliste, les choses sont claires : le gouvernement AKP a décidé de soumettre l'institution judiciaire indépendante. Deniz Baykal, le chef du CHP, parti de gauche kémaliste, s'est drapé de la gravité qu'exigerait le moment : "je vous mets solennellement en garde, ne touchez pas à la justice, vous jouez avec le feu; après ne dites pas qu'il ne l'avait pas dit !". Ca fait peur, évidemment. C'est que la dernière personne qui avait employé cette expression s'appelait Ismet Inönü, l'ancien chef du CHP; en 1960, contre le Premier ministre démocrate Adnan Menderes. "L'avertissement historique" ("tarihi uyari"), l'a-t-on baptisé. Résultat : quelques semaines plus tard, le Premier ministre Menderes a été renversé par un coup d'Etat puis pendu...



C'est sans doute la scène la plus édifiante : le procureur général d'Istanbul a déchargé certains de ses substituts, de leurs attributions. Motif : avoir mis en examen 78 officiers dont 25 généraux et amiraux. "Et alors ?", peut-on se demander. C'est que ces mises en examen ont déplu à Monsieur le Procureur. Et tout content de sa sortie, il s'est justifié : "avant d'embarquer 25 généraux, les procureurs auraient dû analyser les conséquences que leur décision aurait nécessairement entraînées". Voilà donc un raisonnement strictement juridique. Ca s'appelle l'indépendance et l'impartialité de la justice. Ravis sont, sans doute, ceux qui défendent mordicus ces deux principes... Lorsque Sami Selçuk, un ancien président de la Cour de cassation, professeur de droit et juriste respecté par tout le monde, avait déclaré qu'un juge ne doit jamais se soucier des conséquences politiques, économiques ou sociales que sa décision va entraîner, ce même tout le monde s'était affolé. Comment un juge pouvait seulement juger en fonction du droit dans un pays comme la Turquie ?



Limpide, en réalité : un scandale. La justice prend des gants avec les militaires. Et encore, il faut derechef distinguer : les officiers et les autres. Et parmi les officiers, les généraux et les autres. Des ruptures d'égalité entremêlées. Pour comprendre le principe d'égalité en vigueur en Turquie, il faut avoir un esprit très sophistiqué. La haute botte est ainsi. N'a-t-on pas vu dernièrement le commandant de la troisième armée refuser de se rendre à la convocation d'un procureur. Il a préféré passer directement à la phase du jugement. On appelle également cela "indépendance et impartialité de la justice". Et personne ou presque ne s'en offusque. C'est normal. Un général d'armée.



Et voici maintenant, un juge de la chambre d'instruction qui vient de mettre en liberté des militaires et affidés accusés de tentative de coup d'Etat et placés en détention provisoire par d'autres juges. Un jour plus tard, trois juges les ont replacés en détention. Ils en profité pour dénoncer, dans leur ordonnance, la trop libre interprétation et la partialité du juge unique. C'est que le juge unique avait une drôle d' "intime conviction" qui consistait à "libérer" tous ceux que d'autres juges plaçaient en détention avant lui. Et tous les mécontents faisaient appel devant ce juge. Intime conviction; conviction tout court, peut-être. D'ailleurs, ce juge avait été nommé par le Conseil supérieur des juges et procureurs (HSYK) spécialement à cet effet. Bref, on s'éclate... Euh pardon, "indépendance et impartialité de la justice".



Ca tombe bien, le gouvernement AKP, terroriste, fasciste, autoritaire, dictatorial et islamiste accessoirement, a décidé d'intervenir pour renforcer cette "indépendance et impartialité". Les kémalistes ont froncé les sourcils. Deniz Baykal prévient : "attention !!!". Il a annoncé une très bonne nouvelle : la saisine de la Cour constitutionnelle. Youppi, une nouvelle crise en perspective. Et le président de la Cour de cassation a également haussé le ton. Et celui du Conseil d'Etat, un ennemi juré du gouvernement qu'il est censé conseiller, s'est aussi désolé. Le procureur près la Cour de cassation, celui qui interdit les partis comme il peut, est allé encore plus loin; il a tout bonnement organisé une conférence de presse pour balancer son index. Il ne reste plus que le Président de la Cour constitutionnelle. Mais lui, c'est un homme du gouvernement, comme on le flaire. Enfin, l'ancien procureur près la Cour de cassation, Sabih Kanadoglu, a aussi annoncé la future décision de la Cour constitutionnelle; selon lui (et on le croit puisqu'il est à lui seul une doctrine qui inspire largement les juges constitutionnels), la Cour va, à coup sûr, annuler ces révisions. Sûrement. Même les deux syndicats de la magistrature se cardent le poil. L'un dit noir, l'autre blanc...


Les juges des cours suprêmes se plaignent sans arrêt de la "dépendance" de la justice. Car, disent-ils (et c'est leur seul argument d'ailleurs), le ministre de la justice et son directeur de cabinet siègent au Conseil supérieur des juges et des procureurs (HSYK). Le ministre en est le président de droit et la présence du directeur de cabinet est juridiquement indispensable pour ouvrir les séances. Les cinq autres membres sont nommés par la Cour de cassation et le Conseil d'Etat. Du coup rien ne fonctionne sans la volonté des deux. D'ailleurs, le HSYK n'a ni budget ni secrétariat ni fonctionnaires propres.



Le projet du gouvernement vise justement à redonner une "dignité" au HSYK. Il sera désormais composé de 21 membres, sera divisé en trois formations et le ministre ne pourra présider que l'assemblée plénière. Il aura un budget propre et un secrétariat. 10 des 21 membres seront nommés par tous les juges du pays et non plus seulement par la haute robe. Ce n'est rien par rapport à la réforme du CSM français. Le CSM avait juste demandé du bout des lèvres de respecter au moins la "parité entre magistrats et personnalités extérieures"; "oui oui, rêve toujours" avait répondu le gouvernement. Et les juges étaient rentrés dans le rang. En Turquie, c'est autre chose; ils agressent le gouvernement. Ils sont si indépendants...


La Cour constitutionnelle également reçoit quelques "coups de canif" : elle passe de 11 à 17 membres. 3 choisis par l'assemblée nationale et les 14 autres nommés par le Président de la République dont 9 sur proposition des cours suprêmes. Bref du pluralisme va s'imposer à la Cour constitutionnelle. Des juges socialistes, plus conservateurs et plus libéraux vont désormais sièger à côté de leurs collègues kémalistes. On aura une jurisprudence moins dogmatique. Quand un journaliste avait gratifié un professeur d'université de termes comme "vendu, chien, débile", la Cour de cassation n'avait trouvé rien à redire, "ah bah, t'y vas mollo dis donc, o da bir şey mi ?"... C'est que ce professeur gênait beaucoup, il défendait le droit des minorités. Il était libéral; il devait donc être aussi libéral pour recevoir des insultes... Mais lorsque la célèbre journaliste libérale, Nazli Ilicak, la seule "chariatiste" au monde qui boive de l'alcool et qui ne soit pas voilée, a dit "mêle-tout" à un juge qui voulait juger le Président de la République malgré son immunité, la justice l'a condamnée à 11 mois de prison avec sursis. Indépendance et impartialité, encore une fois. D'ailleurs, dans d'autres Etats autoritaires comme la France, les Etats-Unis et l'Allemagne, ce sont les politiques qui nomment les membres des Cours constitutionnelles. Et le pape turc du droit constitutionnel qu'est Ergun Özbudun (et accessoirement le juriste turc qui siège à la Commission de Venise du Conseil de l'Europe) est sûrement trop naïf pour ne pas débusquer les visées fascisantes du gouvernement AKP.


Evidemment, ces sujets sont graves. Réviser la Constitution, modifier l'organisation judiciaire. Ce qui est navrant, en Turquie, c'est qu'on est obligé de démocratiser à la va-vite; à la sauvette, presque. Histoire de ne pas tomber dans les filets des institutions kémalistes. Le référendum sur l'élection du Président de la République au suffrage direct avait été organisé dans cet état d'esprit. Ca casse ou ça passe. C'est vrai que dans les pays en voie de démocratisation, ce que les tenants du statu quo appellent "les droits de l'opposition" s'apparentent souvent à des subterfuges pour gagner du temps. La patience n'est l'apanage que des régimes fermement démocratiques; des régimes où papoter sert à quelque chose. Pas à faire du surplace. C'est un combat : des colonnes s'écroulent, d'autres se dressent. Tel est l'enjeu. Le révolutionnarisme de Mustafa Kemal, "devrimcilik"...

samedi 3 avril 2010

Commérage

Tomber amoureux, tout un drame. Le drame de tout un chacun. Allez, au moins une fois dans la vie; histoire de donner raison à la théorie. Même les plus arides ont vibré un jour; une heure, une minute, une seconde. Même les plus constipés, les philosophes, savent aimer et désirer. N'écoutez pas ce qu'ils débitent; la raison par-ci, la raison par-là... Ils attendent la nuit, comme tout bon petit bonhomme adamique.


C'est toujours bien d'avoir des ami(e)s qui s'enflamment. Une aventure collective. Ca meuble le temps, aussi. C'est qu'une amie avait succombé, un jour. Elle aimait un "rebeu". Des "bogosses", assurément. "Ces types-là priapisent", m'avait dit un jour un polar. "Comment, qu'est-ce que tu dis très cher !", "dans l'imaginaire féminin, c'est le type même de la virilité, proche et distant à la fois", "hmm...", "même les homosexuels sont de cet avis". Intéressant. Il m'avait même conté la démarche d'un jeune homme tombé amoureux d'un "beur". Rien d'extraordinaire, en soi, ça peut arriver. Le type était tellement, comment dire, "brûlant" qu'il s'était converti pour les beaux yeux de son jules. Jules qui, soi-disant, avait érigé la conversion en critère d'union. "Tu te fous de moi ?", "non non je t'assure, c'est véridique, il était tellement subjugué qu'il se proposait de devenir musulman pour pouvoir être avec lui". Eh ben. Se convertir pour vivre une idylle précisément interdite par l'islam ! Il y a donc des cerveaux qui fonctionnent ainsi...

L'amie, donc. Elle aussi bouillonnait. Ce fut la traque. En binôme, on était à ses trousses. Au sens littéral. Il vit où ? comment ? pourquoi ? pour qui ? etc. Il fréquente qui ? Il parle de quoi ? Il préfère quelle marque ? Pourquoi ? Et le parfum ? Nous épluchâmes toutes les données. Adresse, téléphone, facebook, accointance, tout. Elle devant, moi derrière. On s'était même plantés devant sa porte; dans la voiture, on admirait ses rideaux. Sa mère les avait achetés au bled, sans doute. Mais on s'en fout. "Qu'est-ce qu'on attend, qu'il sorte ?", "nan nan, il est au boulot", "ah ouais, bah on a l'air malin...", "dis pas ça, j'ai besoin de voir l'immeuble, sa boîte à lettres, les escaliers, l'interphone...", "t'es folle ?"...

L'amoureux est la personne la plus barbante au monde; ça papote et ça papote. Comme on le sait, l'amour est avant tout une affaire d'odeur. Il faut toucher l'autre; corps, vêtements, objets personnels. C'est comme ça. Faire des kilomètres ne serait-ce que pour contempler un "vide" où il serait passé, où il aurait posé le pied, la main, le fessier, etc. A la recherche du sillage, presque. Simuler des étreintes, s'inventer des odeurs, des dialogues. Une histoire de fous. Admirer en détails le visage, le corps, la démarche, la geste. "Tu m'écoutes ?", "ouais ouais, tu savais toi que sous la reine Victoria, on cachait même les pieds de tables et de pianos parce-qu'ils pouvaient faire penser à des jambes de femmes ?", "c'est quoi le rapport ?", "bah j'sais pas"...

Il faut être plus sérieux, évidemment. Ainsi, l'amour serait le résultat "d'un processus biochimique mettant en action des substances chimiques et circuits neuronaux précis dans certaines zones cérébrales" (Allan et Barbara Pease, Pourquoi les hommes veulent du sexe et les femmes de l'amour ?, p. 34). Bouououh, içine ettin. Eh ben avec ça; dopamine, ocytocine, testostérone (un mot qui se prononce comme une catastrophe), hypothalamus, amygdale, etc. J'aurais été païen, je me serais opposé au mariage, assurément. A la clause de fidélité, plutôt.

Un autre camarade, converti, cherchait une dame à sa mesure. Une pieuse. Alors, il enchaînait les "séances" de rencontres islamiques. Une fois, il était "bluffé". La fille qu'il venait de rencontrer était "en plein dedans". Elle inspirait, islam, elle expirait, islam. "Mâchâ'llâh, ça existe toujours des gens comme ça !". Le mien, bouche bée, avait été ébloui mais il n'avait pas réussi à succomber. C'est qu'il pensait ne pas être à son niveau; il voulait un couple un peu plus harmonieux. Mais il se jurait qu'il allait dorénavant prendre de bonnes résolutions : plus de télé, plus de musique. "Mais t'es dingue, tu vas vivre que pour Dieu ?", "ouaich", "mais ce n'est pas interdit le divertissement dans l'islam", "Astaghfirullâh !"... Comme le disait Raymond Devos, "on a toujours tort d'essayer d'avoir raison devant les gens qui ont toutes les bonnes raisons de croire qu'ils n'ont pas tort".

Et allez, une dernière. Une amie, encore. Elle n'a pas eu honte de s'enticher d'un type qui travaille dans une boutique de téléphonie. "T'es folle, il ne te comblera jamais, en plus tu sapes la théorie, tu devrais aimer que des rupes !", "il est canon mon mec ! Attends, j't'l décris : grand, crâne rasé, yeux pers, un délice ! En plus, il veut beaucoup d'enfants, youppi !, "malheureuse ! Tu vas énerver Babeth encore !".

"Tu jases dru là, arrête !". C'est vrai. "Dedikodu" disent les Turcs.

"Dil harâb-abâd-ı âlemde aceb vîrânedir, eksik olmaz derd ü gam güya ki mihmânhânedir" a dit le poète. Et comme tout bon poète, il a raison. Je l'avoue. бирае йае уарзын. Ha ha. Ne l'a-t-il pas dit le Prophète : "celui qui meurt d'amour est un martyr". A qui il s'adressait ?