samedi 22 mai 2010

Facticité

Et rebelote. Les revoilà ensemble. Behlül et Bihter. Les deux protagonistes de la série la plus "salace" de la télévision turque. Retombés dans les bras l'un de l'autre. Alors que toute la Turquie s'était apaisée et attendait cette fin macabre que le roman prévoit. La série "Ask-i memnu". "L'amour interdit".

Ca confirme qu'un homme reste un homme et qu'une femme reste une diablesse. Madame (Bihter) est la jeune femme de son oncle (Adnan), épousée en secondes noces. Un oncle riche; un décor qui fait rêver : maison spatieuse, domestiques, chauffeurs, gouvernante, belles femmes, belles vêtures, etc. Mais le neveu (Behlül) est trop beau, aussi. Madame en tombe amoureuse. Ils n'hésitent pas, oh que non, ils couchent. Evidemment goûter un homme que tout le monde s'arrache est une réjouissance sans pair. Et comme Behlül est un savoureur... Mais Behlül est loin d'être un bélître, il décide alors de décharger sa conscience en "quittant" sa maîtresse-tante et en se fiançant avec sa cousine, la fille de son oncle. Ironie : behlûl, en ottoman signifie "celui qui rit beaucoup, celui qui est bon"; dans le dictionnaire arabe, je trouve plutôt "buhlûl" : "pître, bouffon". Et dans le dictionnaire arabe-français-anglais, on rajoute "stupide". Bref, l'idiot.

Les Turcs étaient en colère, pourtant. Ils voulaient absolument que cette relation infâme cessât. Un gus avait même intenté une action en justice; c'est que cette série l'énervait. Et comme il ne voulait pas zapper, il fit l'idiot, lui aussi. Il n'y est pas allé de main morte : cette série heurte la conception turque de la famille; elle viole la Constitution qui impose à l'Etat de protéger la famille et elle est contraire à la dignité humaine et aux droits de l'Homme... Le procès est en cours. Entre-temps, il suit la série... Car, avouons-le, c'est une des séries turques les plus réussies. La musique, le casting, les plans, l'histoire.

"Il m'énerve ce type, m'a dit mon amie, il est trop canon; tu sais quoi ? Je l'ai violé ! Avec mes yeux !", "c'est ça, oui, calme calme"... Behlül (Kivanç Tatlitug dans la "vraie vie") fait fantasmer. Même Gülben Ergen, une chanteuse relativement connue, le crie sur tous les toits : "c'est le type le plus beau de la planète". Derek Keeling et Brandi Burkhardt sont sous le charme, aussi. Mais lui, il est timide; lorsque le présentateur lui pose des questions sur sa vie amoureuse, il rougit presque. Des perles de sueur éclosent. "Je suis vraiment gêné de répondre à ces questions, mes parents regardent l'émission, tu sais". Oh qu'il est pudique en plus. "Ay canim yerim seni yerim", "sus kiz, alirim ayagimin altina"...

Voilà un début de réponse à tous ceux qui m'envoient des courriels pour les traductions, potins, confidences et autres jacasseries. Je constate toutes les semaines que les Arabes sont complètement absorbées par les séries turques. Burak Hakki, Murat Yildirim, Kivanç Tatlitug, Kenan Imirzalioglu.

Et vas-y pour faire le psychologue; véridique : "je vais divorcer d'avec mon mari, il m'énerve, il me laisse pas regarder les séries turques", "bah oui ma p'tite dame, il a peut-être raison nan ? euh...", "comment je peux savoir la suite de la série", "bah en regardant toutes les semaines", "ha ha, allez lâche la suite", "c'est ça ouais, je me tape une série de 2 heures avec des pauses publicitaires de 10 minutes toutes les 20 minutes, j'en morfle moi, à votre tour"... J'ai eu même droit à une fille qui me croyait producteur de toutes ces séries qui inondent le monde arabe ! Mais je suis bien obligé de faire la fine bouche : amies arabes, ne rêvez pas trop, la série "Amour interdit" a déjà du mal à passer en Turquie, elle ne sera jamais diffusée dans vos contrées ! Désolé ma belle...

Dans un roman turc, Korkuyu beklerken (un grand merci à celle qui me l'a fait découvrir), l'auteur Oguz Atay disait : "ben bu sarisinlarda çig bir sey, pismemis bir hava sezerim" (p. 106.). Du genre, je trouve chez les blonds un côté "vert", "immature", "inaccompli". Magnifique, quand même ! Les "beurettes" vont protester à ma porte, à coup sûr. Les brunes aiment les blonds, les blonds aiment les brunes (d'ailleurs les filles qui ont eu le privilège de partager l'alcôve de Kivanç sont toutes brunes aux yeux marrons, youppi demi kiz).

Blondeur rime avec yeux en couleur et peau relativement blanche. C'est pour cela que pour Louis-Ferdinand Céline, une personne qui a mal dormi ressemble à un Suédois mort... Mais au-delà de ce physique trop "coloré" qui disqualifie la virilité, les hommes occidentaux ne semblent pas virils non plus car ils sont épanouis, libérés sexuellement, ils n'ont pas à faire des démonstrations de force, ils n'ont pas à afficher une gravité dans la démarche et dans le verbe. En Orient, ils sont complexés, cernés par des interdictions, des pressions sociales et utilisent donc leurs corps et leurs manières pour affirmer leur présence. D'un côté, presque une confusion des genres, de l'autre, une radicalité bien identifiée. L'Occidentale succombe à l'un, l'Orientale s'entiche de l'autre.

Ca fait un peu "parler avec la suffisance d'un adolescent boutonneux après sa première conquête" (Max Gallo, Les Fanatiques) comme le rappelle mon ami Muhayyel; mais non, mon brave. Aha da yaziyorum : "un aveugle, on l'aide à traverser les rues ! Pourquoi n'aidera-t-on pas celui que la passion frappe d'une cécité aussi totale que l'autre ?" (Henri Troyat, L'Araigne). Juste une mise en garde : garde ton mari, ta famille, ta mentalité et ton mode de vie, amie inconnue : c'est juste une fiction. Respire un bon coup; et vira bismillah... Le "soft power" turc fait des dégâts, ils avaient raison ou quoi les cheikhs qui jetaient l'anathème sur celles qui bavaient devant ces séries ? "Contente-toi de ton mari, saloperie...", "pfff"...