jeudi 10 juin 2010

Les mains dans le sac...

Non, non, on ne rêve pas. Le ministre de l'Intérieur veut sanctionner les "polygames de fait" qui arnaquent la CAF et empochent des prestations familiales indues. Il fait cette proposition au Président de la République, évidemment. Pas au Parlement. Ca sera après, quand le Président aura donné son accord. Le vote au Parlement, c'est connu, n'étant qu'une formalité... Détourner des fonds, voler l'argent des autres, dépouiller les caisses de l'Etat et donc du peuple, méritent, évidemment, sanctions. Les plus graves, d'ailleurs, car s'il y a bien une "corruption de l'âme", c'est bien celle-ci : profiter des deniers publics.


On le sait tellement bien en France que les hommes politiques en sont, en général, les premiers accusés. Ils voleraient subrepticement. Indemnités par-ci, traitements par-là, logements et voitures de fonction, cuisiniers, etc. Tout cela pour nos dirigeants. C'est qu'ils représentent la grandeur française. Et surtout, il faut les tenir éloignés de toute sollicitation mercantile; il faut donc qu'ils vivent plantureusement. Il nous faut les soigner comme la prunelle de nos yeux. A-t-on déjà entendu un tel argument : "on s'octroie de hauts salaires parce-qu'on a peur de se faire acheter" ! C'est donc pour le bien public, on a compris. Et ils travaillent beaucoup, aussi. C'est vrai qu'être ministre et, en parallèle, maire, conseiller régional, général, municipal, président d'agglomération, etc., ça prend du temps. L'agenda doit exploser, à coup sûr. "Arrête de faire le savantasse, tu n'y connais rien !"...


La moralité publique, disent certains. Des populistes, assurément. Des démagogues. Quoi alors, un conseiller d'Etat peut-il gagner plus qu'un ministre ! Le Président de la République française pouvait-il gagner moins que son Premier ministre ! ou moins que ses homologues ! Notre leader avec des chaussettes trouées, des chemises achetées à Noz dans un sommet international, t'imagines frérot ! Même les dirigeants communistes de la planète s'habillent coquettement. Il faut donc du pognon pour tenir son rang. Quoique notre Président avait avoué avoir honte de sa montre devant DSK. Comme un "pasteur méthodiste", s'était-il senti. Avec un salaire de 20 000 euros. Chapeau. Qu'est-ce qu'on peut bien faire avec tant d'argent ? "Arrête de faire le bouffon"...


En général, on croit savoir que les hommes de gauche sont moins consciencieux que les conservateurs; c'est qu'ils ne croient pas à une puissance supérieure, regardante. Des matérialistes dans tous les sens du terme. Pas de comptes à rendre sinon à sa propre conscience autant dire une farce. Tout est donc permis. C'est juste une croyance, évidemment. Mendès-France, Jospin ne sont-ils pas des hommes de gauches ? Et Christine Boutin croit en Dieu, elle. En tout cas, c'est ce que j'ai crû comprendre. Il griffonne des choses dans ses carnets, le Très-Haut, elle doit le savoir. Tu vas me dire, avec un pape qui vit dans des palais en fonction des saisons de l'année, on ne doit pas s'attendre à croiser des ouailles qui vivent sous des tentes. Victor Hugo aussi était démagogue, n'est-ce pas : "Qui êtes-vous ? Vous êtes un évêque, un prince de l’Eglise, un de ces hommes dorés, armoriés… et qui roulent en carrosse au nom de Jésus-Christ qui allait pieds nus !".


Madame s'occupait donc d'une mission. Elle devait réfléchir sur les "effets de la mondialisation". Avec quatre collaborateurs, un chauffeur, un bureau et un salaire de 9 500 euros. On croit à sa mission, évidemment. Là n'est pas le problème. On se demande juste pourquoi elle l'a acceptée. Car c'est un sujet technique et on a, dans ce pays, des universitaires, des chercheurs, des hauts fonctionnaires, des énarques, une Cour des comptes, un Conseil économique et social et toute une ribambelle de spécialistes qui vivent déjà aux crochets de l'Etat pour mener de telles études. Pourquoi Christine Boutin ? A-t-elle un diplôme dans ce domaine ? Une expérience particulière ? Si oui, pourquoi a-t-elle des collaborateurs pour ce faire ? Pourquoi Madame, pourquoi ? Surtout vous. Pourquoi ne peut-on pas compter sur un politique dans ce pays ? Pourquoi faut-il toujours que l'on découvre qu'il est aussi compromis sinon pourri que les autres ? Je ne la plains pas parce-qu'elle a volé l'argent public, non; mais parce-qu'elle pouvait, et c'était le moment idoine, donner des leçons de moralité à celui qui lui a proposé cette mission. Elle aurait pu faire économiser de l'argent. Une goutte, je le sais bien mais il reste qu'en matière de dépenses publiques, les bouts de chandelle sont des bouts de chandelle ! Rédemption disent les chrétiens, je crois... L'Etat tente, entre-temps, de déchoir de leur nationalité, les nouveaux Français qui volent. Et les "anciens" ? "Ah ouais alors, il faudrait envoyer celle-là en exil au Vatican", "t'as raison, le palais apostolique est immense"...


Vraiment pathétique : l'une nomme son fils à la tête d'une institution qui dépend de son ministère, l'un pleurt parce-qu'il en a marre d'être trop Francilien en perdant du temps dans les embouteillages, une autre déclare avoir honte d'ouvrir les portes de son logement aux préfets et sous-préfets qui, eux, comme on le devine, sont mieux logés, une autre prête son logement de fonction à sa parentaille, etc. etc.


Même débat en Turquie : le nouveau chef du parti kémaliste, Kemal Kiliçdaroglu, s'en prend lui aussi, à l'enrichissement spectaculaire du Premier ministre Erdogan. Un millionnaire, il serait devenu. Autrefois, c'était le Président de la République Süleyman Demirel (1993-2000) qui était fustigé; sa famille était devenue une famille d'industriels alors que personne n'en voyait la raison objective. Aujourd'hui, le Sieur Demirel dont le propre neveu était en prison pour s'être trop rapidement enrichi, est considéré comme la Voix de la Raison face aux obscurantistes de l'AKP. Ironie du sort...


Kiliçdaroglu a promis d'avance, lui : "je le jure, je ne vais pas m'enrichir; je ne vais pas habiter dans des villas avec piscine, je ne vais jamais mettre les pieds dans les hôtels 5 étoiles !". Voilà donc pour un candidat; un futur Premier ministre. Il promet le dépouillement. A peine avait-il lâché le micro qu'un flash parut : Monsieur portait une chemise qui coûte 200 euros. "Je ne savais pas" a immédiatement répondu Kiliçdaroglu. On le croit. Mais... Voilà quoi... La population turque veut rêver; une mère et un père n'ont d'autre objectif dans la vie que de voir leur progéniture vivre dignement sinon richement; qu'il vive dans une villa, qu'il voyage, qu'il s'habille bien. Mais le leader du CHP promet un nivellement par le bas : "on va tous être pauvres, je vous le garantis !". Soyons juste : il est sincère mais sa formulation et sa méthode sont par trop rebutantes. C'est tout.


Personne ne s'indigne de voir un homme politique mener grand train s'il en a les moyens personnels; l'ancien Premier ministre "islamiste", Necmettin Erbakan, avait une fortune colossale et vivait cossument mais même son adversaire politique, le très social-démocrate Bülent Ecevit, avait coupé court aux soupçons de corruption en lançant : "comment voulez-vous qu'il ait amassé cette fortune grâce à la soi-disante corruption, en 40 ans de carrière, il n'a occupé des fonctions ministérielles que pendant trois et demi !". Et c'est son lieutenant Hikmet Sami Türk qui avait porté sa voix à l'assemblée...


L'angle d'attaque est donc mauvais. Si demander des comptes sur l'origine de la fortune d'Erdogan est légitime, critiquer son mode de vie dans les palais, les hôtels de luxe, les duplex, est de la basse politique. La rhétorique de la pauvreté n'émerveillera pas, à mon humble avis, la population. Il faut bien distinguer la lutte contre la corruption du dédain contre la richesse. Car le but de la justice sociale n'est pas d'écorcher tout le monde mais de rehausser le confort. Le président du CHP attaque la fortune du Premier ministre en soi, ce qui est dérangeant sinon dangereux. Il essaie de "se la jouer" populaire mais tombe dans le populisme. Pourquoi mettre la prévarication et le mode de vie dans le même panier ?


On dérobe comme on peut. D'ailleurs les Turcs ont inventé un aphorisme : "devletin mali deniz, yemeyen keriz" (du genre, l'Etat est une vache à lait, celui qui n'en profite pas est sot). Les citoyens travaillent au noir et perçoivent le RSA, ils font tout pour échapper au fisc, les hommes politiques confondent un certain nombre de poches; on ne s'est pas approprié l'Etat, en réalité. L'Etat c'est un autre qu'il faut pincer, pressurer. On est ainsi. On a toujours, comme le disait Tocqueville, "le souci de se mettre à l'aise aux dépens du Trésor public". Il est entouré de véreux; et lorsqu'ils se font attrapper, certains sont placés en garde à vue alors que d'autres continuent à péter dans la soie. C'est si simple; mais ça demande de l'art. Les gros poissons ont toujours une immunité de fait.
"T'as remarqué ?", "quoi ?", "Ilyès, Christine et Erdogan", "bah alors ?", "ce sont des punaises de sacristie, soi-disant, keh keh keh...", "hahaha, bien vu, satan n'était-il pas un ange (ou un djinn dans la version islamique)!"