lundi 11 octobre 2010

Mos maïorum

Ca y est; la République a triomphé. Le Conseil constitutionnel a validé la loi; une loi qui dit que « nul ne peut, dans l'espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage ». Les musulmanes par trop bigotes devront, dorénavant, montrer leur bouille. Babeth voulait le sourire, elle l'a obtenu. "Ah qu'elle doit être contente !". Et les têtues devront casquer 150 euros ou seront envoyées dans un camp pour apprendre la citoyenneté. "Mais moi je suis un homme, je voulais juste narguer la loi !", "ça fait rien, on va t'apprendre comment être une bonne gonzesse française, mon cochon, t'entends ! FRANCAISE !" Pas de panique, évidemment. On libère. La République a écrasé la liberté de religion mais c'est pour le Bien. Désormais, Franciae Franco modo vivitur.


Le Conseil se fonde sur la sauvegarde de l’ordre public en se défaussant sur le législateur : « le législateur a estimé que de telles pratiques peuvent constituer un danger pour la sécurité publique et méconnaissent les exigences minimales de la vie en société ; qu'il a également estimé que les femmes dissimulant leur visage, volontairement ou non, se trouvent placées dans une situation d'exclusion et d'infériorité manifestement incompatible avec les principes constitutionnels de liberté et d'égalité ».

Sécurité publique, ordre public sociétal, liberté et égalité. Les quatre mots-clés que le Conseil d’Etat avait précisément écartés dans son « étude relative aux possibilités juridiques d'interdiction du port du voile intégral » du 25 mars 2010. Admirez l'audace des Sages : le législateur pense que ... donc... "Ah bah si votre boulot, c'est juste de surligner ce que dit le législateur, on ne va pas vous retenir plus longtemps hein!", "dis pas ça, le Conseil est rempli de juristes compétents; Debré, Chirac, Giscard d'Estaing, Steinmetz, Guillenchmidt, et surtout Charasse et Barrot, ils ont passé leur vie dans la magistrature et sont versés dans le droit des droits de l'Homme, pfff !".


Je veux bien mais... Mais voilà quoi : les motifs du Conseil sonnent comme faux. L’ordre public serait ainsi menacé alors qu’aucune atteinte à la sécurité publique n’a été jusqu’ici relevée ; la liberté serait fragilisée alors que la soumission à un impératif ressenti comme religieux, même « radical », est précisément protégée par la liberté de religion ; l’égalité serait ébranlée alors que les autorités ne sauraient porter une appréciation sur la légitimité des croyances religieuses ni leurs modalités d’expression. Le Conseil va beaucoup plus loin en consacrant un véritable « ordre public sociétal » qui a trait à un socle de valeurs minimales que devraient partager les membres du corps social. C’est là que le bât blesse : un ordre public lié aux « exigences minimales de la vie en société » fait dorénavant partie de l’univers juridique.

La liberté de religion est sacrifiée sur l’autel du républicanisme. Assez étrangement, le Conseil cite, dans son dossier documentaire, l’arrêt Ahmet Arslan et autres contre Turquie, rendu par la Cour européenne des droits de l’Homme le 23 février 2010 mais n’en tire aucune conséquence. Dans cette affaire, la Cour de Strasbourg condamne la Turquie pour avoir porté atteinte à la liberté de religion des membres d’une confrérie auxquels il était reproché de s’habiller conformément à leurs conceptions religieuses « dans les lieux publics ouverts à tous comme les voies ou places publiques ». Le Conseil constitutionnel s’est contenté d’une réserve d’interprétation : cette restriction ne saurait s’appliquer dans les lieux de culte ouverts au public.

Le vivre-ensemble devient le nouveau paradigme. La preuve en est qu’un stage de citoyenneté pourrait être imposé par le juge. La sociabilité devient une exigence juridique. Les questions s’accumulent : comment une loi peut interdire l'anthropophobie, la réclusion voulue, le droit à la singularité voire à l’excentricité ? Le mode de vie de la majorité ou la conception de l’esthétique en vigueur dans le pays deviennent-ils les seuls étalons ? La République a-t-elle pour fonction de promouvoir un mode de vie ? "C'est bien ça" vient de répondre, le Sieur Seehofer, de l'outre-Rhin; avec son fameux distinguo des immigrés en fonction du "milieu culturel". "T'as vu, il n'y a pas que la France qui s'en prend aux musulmans !"... Le pauvre Président Wulff avait fait une gaffe en déclarant que "l'islam fait partie de l'Allemagne". Toute l'Europe s'était effondrée; France et Allemagne, mon cher, un couple moteur...

Le brevet de constitutionnalité est acquis, reste à attendre le brevet de conventionnalité. Car à défaut d’un revirement de jurisprudence opportuniste, les formulations de la Cour européenne dans l’affaire précitée restent pertinentes : « la Cour relève d'abord que les requérants sont de simples citoyens : ils ne sont aucunement des représentants de l'Etat dans l'exercice d'une fonction publique ; ils n'ont adhéré à aucun statut qui procurerait à ses titulaires la qualité de détenteur de l'autorité de l'Etat. Ils ne peuvent donc être soumis, en raison d'un statut officiel, à une obligation de discrétion dans l'expression publique de leurs convictions religieuses (…). La Cour relève enfin qu'il ne ressort pas du dossier que la façon dont les requérants ont manifesté leurs croyances par une tenue spécifique constituait ou risquait de constituer une menace pour l'ordre public ou une pression sur autrui » (Ahmet Arslan et autres c. Turquie, 23/02/2010, § 48-50).

Une éventuelle condamnation ne devrait pas, alors, être vue comme « une victoire des extrémistes » mais un rappel aux engagements de la France en matière de droits de l’Homme. Il est marrant de le noter : cette décision du Conseil enfreint le principe de laïcité. "Elle est bonne celle-là !". Si si. Ce principe sacré qui garantit aux minoritaires de vivre leur conception de vie et de ne pas s'aligner sur les "habitudes" des majoritaires. Ca nous fait une belle jambe : la Cour européenne donnera-t-elle une belle leçon de laïcité à son géniteur ? On s'en esclaffera le moment venu; aujourd'hui, la moue est de rigueur.