samedi 15 octobre 2011

"Notre Messi, c'est Özil" (Horst Hrubesch)

Les origines des uns et des autres. C'est irrationnel sans doute, peut-être fautif, mais on s'y intéresse. Instinctivement. Il faut dire que les occasions ne manquent pas. Lorsque le Président Sarkozy déclara qu'il était un "Français de sang mêlé", on s'emballa. Les Turcs rappelèrent qu'il était d'origine ottomane par sa mère comme ils l'avaient fait en son temps pour Balladur(ian) qui, heureusement, ne s'en cacha pas, 16:10 ("Balla dur" signifiant littéralement en turc, "ne cesse de mieller !", à l'impératif). Ou encore Marc Lévy et Françoise Giroud. Bon, c'est vrai que parfois, c'est "capilotracté" mais bon; ainsi, le Prophète Muhammed s'est vu inventer des origines turques puisque descendant d'Abraham, lui-même Sumérien donc Turc. Le "grand Sinan" aussi avait été d'origine turque un instant, le temps qu'Afet Inan, fille adoptive de Mustafa Kemal, soit comblée. Après, on s'était ravisé. Et quand certains se sont mis à discuter de la turcité d'Atatürk (les Turcs blonds n'étant malheureusement pas légion), on s'est indigné; "arrête de broncher, c'est un Turcoman pur sucre ! Alévi par-dessus le marché". Bon bon...


Les Turcs sont d'ordinaire nationalistes; nombrilistes. De l'homme de gauche, théoriquement internationaliste, à l'islamiste, théoriquement oummatiste. Le monde entier leur veut du mal, l'univers les envie. C'est vrai que leur histoire a de la branche, il serait grotesque de ne pas s'en targuer. Ce n'est pas l'Islande ni l'île de Crète ni même l'Indonésie ou le Brésil. C'est la Turquie. "Ce n'est pas rien que d'être Français" avait dit Chirac en 1995. Et "ce n'est pas rien que d'être Turc", vais-je ajouter comme les grands hommes. Alors quand on est Français et Turc, on s'exalte à tire d'aile. Ya Rabbi şükür... Il faut dire que la légitime fierté prend parfois des allures de butorderie. N'est-ce pas une "certaine" jeunesse qui avait déplié la pancarte "Istanbul since 1453" lors d'un match Fenerbahçe-Panathinaïkos. Le message était clair, on a chouravé votre ville, VOTRE ville et on s'en gausse. Étrange aveu : on "occupe" votre ville...




Steeve Jobs meurt, on se bouscule ; on s'attendrit puisque son père biologique est un Syrien, on pleure puisque sa mère adoptive est une Arménienne "échappée" de l'empire ottoman. Arnaud Montebourg parle de son grand-père "Arabe" (et non "pied noir" s'il vous plaît) pour défendre l'Etat palestinien, Manuel Valls préférant justifier son attachement éternel à Israël par la religion de sa femme. Chacun, se fondant sur ce bout d'identité et de "sang", monte sur ses grands chevaux pour avoir une conception des choses et la défendre coûte que coûte. Et le menu citoyen respire, il a découvert de nouvelles origines, de celles qui justifient un engagement bien ancré. Après tout, il faut également des tripes pour faire de la politique, les raisonnements froids, bien construits, par trop cérébraux vont un temps... Et Valéry Gergiev et Tugan Sokhiev sont des chefs d'orchestre d'origine ossète aussi, je voudrais le dire, n'est-ce pas. Suis-je pour autant un abonné des salles de concert ? Non. Ça coûte cher. Mais j'en suis fier et c'est comme ça...


Évidemment, on aime nos co-originaires que quand ils sont reconnaissants. Il faut bien qu'ils soutiennent un peu le bled. Les "vendus" du type Mesut Özil sont voués aux gémonies. Non mais ! Ce footballeur allemand d'origine turque, on s'en souvient, avait préféré l'équipe nationale allemande, mon dieu qu'on l'avait hué, sifflé, insulté ! Et il est talentueux en plus, ça m'éneeeeerve ! On pleurait de rage, il marquait des buts contre la Turquie. Sa pauvre mère, devenue millionnaire du jour au lendemain avec sa mentalité du village, n'habitait sûrement plus le quartier mais elle devait souffrir, la pauvre ! Et le père, il devait en engranger des affronts ! Vah vah, leur fils, quel ingrat était-il ! Un vendu, oui oui. Les potinières n'avaient sans doute pas failli à leur mission, écraser, humilier la famille. Elle avait forfait aux devoirs envers la patrie, la seule, la turque. Après tout, ils n'étaient en Allemagne que pour gagner de l'argent, toucher le chômage, profiter des prestations sociales, apprendre un peu sa langue mais diantre, pas pour s'y intégrer et perdre son âme !


C'est tragi-comique, toutes les familles turques que je connais et qui votent MHP en Turquie, le parti nationaliste, ont accueilli bon gré mal gré des brus françaises. Ça n'a pas suffi à les fléchir, à les humaniser surtout. C'est toute la problématique qui s'est abattue sur les primo-arrivants : comment embrasser la francité sans perdre un bout de son identité, pis, de sa religion. "Oğlun gavur mu oldu !" disait-on, jadis. "Ton fils est devenu impie, hein !". Raison : avoir adopté la nationalité française ! Le stade suprême serait d'adopter des prénoms français mais vraiment français, pas hybrides du genre "Mikail", "Suzan", "Jame", "Césaire", "Adam", "Céline", "Myriam" ou encore "Cybèle". Quand les Français tombent amoureux de Franco-Turques, ils se convertissent à la turcité et donc à l'islam, ils changent souvent de prénom même s'ils portent des prénoms islamo-compatibles comme Gabriel, Marie, Joseph, Abraham, Michel, etc. De là à espérer qu'un jour les Franco-Turcs franchiront le pas ! Et moi je ne promets rien non plus, mes prénoms sont déjà prêts, pas touche : "Serfiraz" et "Dürrüşehvar". La théorie, c'est pour les autres...


La double appartenance n'est pas facile, ah oui alors. Le service militaire, un casse-tête. La Turquie ne reconnaît malheureusement pas la journée d'appel de la préparation à la défense; on a beau prouver qu'on a fait notre "service" en France, ils nous rabrouent, "höst, s...tir lan !". Du coup, on doit se caserner là-bas aussi, oh c'est rien, c'est juste 21 jours. Mais il faut débourser également la bagatelle de 5000 euros. Pardon, il faut d'abord se rendre au consulat turc, croquer le marmot, faire 25 photocopies de tous les papiers qu'un adulte aura vus dans sa vie, 10 photos, obtenir des signatures infinies, etc. etc. Un jour que j'attendais paisiblement depuis 30 minutes dans la queue avec ma paperasse, un type se mit à déverser sa bile, "c'est qui ce vieux ! Trois heures pour signer !". Intrigué, j'allongeai le pas et la tête et que ne vis-je ? Le Consul en personne faisait de la calligraphie, "chut ayol ! C'est le Consul !"...


Pourquoi des réserves ? Nous sommes nés ici, nous sommes Français non ? "Ouaich". C'est vrai que j'ai ma petite théorie, moi. Nous ne sommes, au fond, pas plus Turcs que Français. Car pour appartenir à un groupe, il faut en apprendre les codes et la langue. Les malheureux ne parlent ni français ni turc, convenablement. "Je mangea", "ils croivent", "je te fais montrer !". Of ! Özil nous a "dépucelés". Personne au monde ne souffre plus que les fils d'immigrés, oui, eux, ceux de la deuxième génération; la main gauche là-bas, la main droite ici, la sépulture là-bas, le berceau ici, un prénom de là-bas, un mode de vie d'ici. Nous, deuxième génération, ayons le "privilège" du déchirement, de la schizophrénie, de l'indécision. Le messie, c'est Özil. Le messie de la troisième génération. Nous, nous ne pourrions être ni francs ni massifs... Au fait, mon caveau de famille se trouve très exactement à Poyrazli, Yozgat/Turquie. Oui oui, c'est mon testament; je l'ai dit, la théorie, c'est pour les suivants.