jeudi 15 décembre 2011

"La faute de l'abbé Mouret", "le crime du padre Amaro"...

"Ahmet le Soutanier". Alias, "Cüppeli Ahmet". Un des rares islamistes turcs à avoir pignon "sur maison"; un vrai "barbu" pour le coup. Calotte vissée sur le crâne, canne muhammadienne dans la main, allure lente des hommes vénérables, chapelet clinquant esclave de doigts enfiévrés. Et très conservateur; excessivement. On le sait, il envoie assidûment en enfer les musulmans qui sablent le champagne à l'occasion de Noël. Conformément à sa partition. Il faut bien de l'ambiance dans la vie sociale d'un pays aussi, n'est-ce pas. Et surtout de la liberté d'expression. Comme le relève la Cour islamique de Strasbourg, "le simple fait de défendre la charia, sans en appeler à la violence pour l'établir, ne saurait passer pour un « discours de haine »" (Gündüz c. Turquie, 4/12/2003, § 51). Nous saluons à l'occasion, allez tous ensemble, les salafistes de France. Strasbourg, mes petits, Strasbourg, la prunelle de vos yeux...

Liberté d'expression donc. Ça tombe bien, nous avons "l'inquiétante chance" de l'écouter chaque soir sur les plateaux de télévision (obiter dictum : on relèvera avec profit les voyelles nasales et l'oxymore qui traduisent ce sentiment, aurait dit un professeur de français, hihi). Car, il faut le souligner, Ahmet le Soutanier est un phénomène. Ses sermons sont fondamentalement traditionalistes mais l'art de les délivrer est exceptionnel : c'est dire, toutes les franges de la société turque, pourtant si clivée, se plient en deux en l'écoutant.


Mais voilà; cet homme n'est pas un saint. L'eût-il été, est-ce que..., bref, ne vexons personne. Le désir de sabrer, ce que sait ressentir le mieux un homme, n'est-ce pas. Pape ou imam. L'Histoire écrira quelque part qu'il fut une époque où on ramassait des curés et évêques dans le lit des enfants. La police descendait chez Monseigneur l'archevêque de Bruxelles. Le Pape s'excusait en personne et casquait, à l'occasion, des millions d'euros. Des cheikhs n'étaient évidemment pas en reste; on croisa par-ci par-là des "fatwas" sur le mariage des fillettes. Qaradawi aussi, éminent savant nous dit-on, avait été mêlée à une histoire de, allez, disons pétulance pour rester correct. "Troussage" aurait dit un mécréant, bouuuuhhhh...

Mais bon; les clercs catholiques, on comprend, ils ont faim : "l'idée épicurienne est rejetée, qu'il faut céder à la concupiscence comme le ventre doit céder à la faim : si la faim est admise, la concupiscence, elle, est suspecte et soigneusement contrôlée" (Philippe Ariès, "Saint Paul et la chair", dans Sexualités occidentales, p. 55). Et qu'arrivent-ils aux clercs musulmans ? Ils ont le mariage; mieux, la tétragamie. Et comme le sous-entend Ghazâli, un saint s'il en est, ça devrait suffire : "Un autre avantage du mariage est de se protéger du diable en apaisant le désir amoureux; et de se préserver des dangers de la concupiscence, de conserver la chasteté du regard et de garder le sexe de commettre une faute" (Des vertus du mariage, Alif éditions, p. 38). Mais voilà, lui-même finit par s'éprendre : "Mais par ma vie ! Le désir amoureux comporte une autre sagesse que d'inciter à la procréation : c'est de faire goûter, lors de sa satisfaction, une volupté que nul plaisir au monde ne saurait égaler" (p. 39). Aaah aaah... Quand l'imam succombe, l'ouaille s'ébroue...

Les téléspectateurs turcs sont, heureusement, rodés en la matière et, elhamdulillah, très miséricordieux. Tiens, par exemple, le "prince des écrans", le professeur de théologie Yasar Nuri Öztürk. Un iconoclaste. Un "renouveleur". Celui dont la capacité de travail (un livre par an) époustoufle en même temps qu'irrite. Il sabre tant les soi-disant "scories" qu'on finit par se demander si tous les savants qui ont vécu et pondu avant sa bienheureuse naissance ne seraient pas des imposteurs... Eh bien, Monsieur le professeur avait poussé le modernisme jusqu'à tromper sa femme (ça passe encore) et, s'il vous plaît, se faire attraper par elle en plein "congrès". Depuis, il crève toujours l'écran avec le même entrain et sans aucune érubescence...

Ou encore le très mondialement célèbre Adnan Oktar alias Harun Yahya (celui qui avait inondé les écoles françaises de son livre anti-darwinien, l'Atlas de la création) qui n'en finit pas, dans ses émissions télévisuelles, de draguer en direct les invitées. Qu'il nous déclame du Nedim et nous n'en serions pas outrés plus que cela : "Es-tu braise ? Es-tu feu ? Ô Hulâgou cruel !/ L'empire de mon vouloir, tu l'as réduit en cendres./ Ô tes caprices de vierge, joints à ces mâles accents,/ Ma raison en chancelle, es-tu vierge ? Éphèbe ?/ Cette cape de soie pourprée, jetée sur ton épaule,/ De ta beauté brûlante en est-elle le symbole ?" (dans Malek Chebel, Traité des bonnes manières et du raffinement en Orient, tome II, p. 61).

Un dernier pour la route et après, promis, on essuie la bave : Zekeriya Beyaz, un autre professeur de théologie connu pour son aversion du voile et sa guerre contre les missionnaires chrétiens et dont les mauvaises langues disent, en se fiant sur son physique, qu'il est ce fameux Antéchrist que le monde musulman attend, le "Deccâl", s'était malencontreusement retrouvé devant un film porno dans sa chambre d'hôtel. La facture le prouvait; car comme on le sait tous ici, n'est-ce pas, ce genre d'émission est surfacturé, ça n'entre pas dans le forfait. Gaillard, il s'en était expliqué, évidemment : "je faisais une analyse théologique et sociologique". Ce même Beyaz défend aujourd'hui son ennemi juré, Ahmet le Soutanier. "Un homme de religion ne saurait faire cela !". Si vous le dites, cher maître...

Il est une vilaine attitude humaine qui consiste à orienter son "objectivité" en fonction de la sympathie ou de l'animosité qu'on ressent envers une personne. Ceux qui enrageaient lorsque les policiers assaillirent la maison d'une intellectuelle "laïque", forcément insoupçonnable, sont les premiers à déverser leur bile sur l'imam, forcément pervers. Comme on le sait, la présomption d'innocence, c'est toujours pour les siens. Et c'est un mollah, voyons; le fantasme de tout croyant au bord du paganisme est de découvrir des cochonneries sur l'imam du coin, ça l'apaise; "şalvarın altında neler töniiir !" avait lâché une dame de cette espèce, avec son joli turc. "Hein, qu'est-ce qui gigote sous la soutane !"... L'occasion est trop bonne pour relever les contrastes imam/sexe, religion/proxénétisme, discours/actes, etc. D'autant plus qu'il s'avère que le Soutanier menait une vie opulente. "Ouais, ce barbare est sans nul doute coupable, regarde sa demeure, on dirait un palais !", "euh, c'est quoi le rapport ?", "j'm'en fous de ton rapport, c'est un pervers, la preuve il habite un castel !"... De là, à devenir proxénète...

Les religions ont toutes un problème avec le sexe. Ça tombe bien, les êtres humains aussi. Il faut donc s'en remettre. Au choix, le Prophète Muhammed : "Il vous faut vous marier; que celui qui n'est pas en mesure de le faire multiplie les jeûnes car cela sera pour lui comme une castration". Les moins sévères, par ici : "Quand il est convenu qu'on peut faire du jouir et du faire jouir un impératif catégorique hédoniste, on met en oeuvre une stratégie qui permet l'émergence de vertus, les vertus de la jubilation". Signé, Michel Onfray. Dans L'Art de jouir. Un livre qui circule peut-être sous le manteau, qui sait...

Ahmet le Soutanier, du coup, mon p'tit malin, quid ? Je ne suis pas un mécréant, moi, j'balance pas... "En rapportant ce genre d'histoires vous ne rendez pas service à votre communauté bien que vous puissiez penser qu'il faille dire ces choses", disait une musulmane face à l'incartade du "Cheikh" Qaradawi. Donc chut ! Les musulmans ne vont tout de même pas donner des verges pour se faire fouetter ! Sous le boisseau, coco, Dieu dort...