vendredi 15 juin 2012

Sous le soleil, sans soleil...

Pierre Boulez avait dit je ne sais plus où, qu'il aimait composer la nuit, "parce-qu'on n'est pas dérangé. Même par le paysage. Ce qui est très beau, c'est l'aube, quand on peut enfin aller se coucher. Tout le monde se lève et vous vous en foutez, parce que vous ne faites plus partie de la communauté". "Ne plus faire partie de la communauté". L'idéal. Étrange tout de même pour quelqu'un qui compose précisément pour les autres. Paradoxe de la musique classique : les compositeurs misanthropes au service des sybarites les plus raffinés. Elle devrait être le "privilège" des esprits encombrés, ce sont les frivoles qui en raffolent (ou font exprès d'en raffoler)...
Le stade suprême que tout le monde rêve d'atteindre : la jouissance. D'autres, donc, préfèrent se soustraire à la communauté. On en connaît déjà, les moines et les moniales, les femmes en burqa (même si leur "enfermement particulier" fait spécialement jaser la populace et le politique), les artistes (les "vrais", évidemment) et les quelques pathologiques, sans doute. Pour le reste, c'est la "normalité" : vivre et profiter de la vie. Pourquoi se sacrifier ? Pourquoi épuiser sa jeunesse au fin fond d'une caverne ? Le tempérament et les goûts découlent de notre conception du Temps : certains croient pouvoir rêvasser quelques années (définition la plus commune de la jeunesse) avant de passer à des choses plus graves, d'autres comptent les jours, chaque jour, comme la dernière de leur vie. Les "ères" n'existent pas pour ces derniers, pas d'enfance ni de jeunesse, de maturité ou de vieillesse. Il n'y a qu'un jour de plus qui est vécu et c'est bien la seule mesure, leur monde ne dure que 24 heures...
Le maître Schopenhauer avait dit des choses aussi, "chacun fuira, supportera ou chérira la solitude en proportion exacte de la valeur de son propre moi. Car c'est là que le mesquin sent toute sa mesquinerie et le grand esprit toute sa grandeur ; bref, chacun s'y pèse à sa vraie valeur". Et moi qui suis jaloux de ce style ! Tiens, un autre : "le bruit divise, le silence divinise" (Jean-Paul Dessycar). Car le moi s'effondre et rejoint le "soi". "Je m'ennuie" m'avait soufflé un ami; "ah bon, t'as le temps de t'ennuyer !". Arrogante comme réponse, n'est-ce pas ? Bah oui... Et tiens voilà une autre sentence venue tout droit de l'arrogance : les gens simples ont peur du silence et de la solitude de peur de réfléchir et de découvrir leur vacuité. Se pénétrer, ça bouscule l'existence...
ظهورات على ظهورات . Ceux qui passent l'épreuve de la solitude sont des gens à part. Le Prophète a reçu la mission alors qu'il était en retraite sur le Mont Hira. Et comme l'ange Gabriel est au chômage technique depuis (puisque plus de prophète), il s'est fait "Inspiration". Il gâte certains, ignore d'autres. Victor Hugo, par exemple, a été touché par la grâce. Et ça m'énerve, dit en passant... Oui, "être Victor Hugo ou rien", trop facile... Mais seuls les exemptés du "droit à l'inconscience" comprendront. "Exemptés d'un droit", oui; et non d'une charge, car c'est un privilège. Cioran avait beau paraître s'en plaindre, "les hommes les plus malheureux, ceux qui n'ont pas droit à l'inconscience", il s'en délectait en douce. Comment je le sais ? Je le sais. Point. L'arrogance...
La vie est sans doute plus succulente quand elle consacre la spontanéité comme guide. La frivolité. Le geste, la parole ou la réflexion inutiles. "Je n'ai rien compris" a dit Muhayyel. "Tant mieux", lui a été répondu. "Il n'y avait rien à comprendre; il faut saisir"... Et quand une chevelure de soleil passe devant, les yeux s'embarquent. Les démons se ruent, font cabrer et s'en délectent. Démangeaison. Pincement. Révolte. Ébullition. Désir de suivre. Ardent besoin de tout arrêter. Souffle coupé. Et on regarde une dernière fois; pour résister...