mardi 16 octobre 2012

"Fougue n'est pas force"

Et après, on critique la monarchie. J'aurais été diplomate, j'aurais conseillé au ministre de soutenir une restauration. La Seconde Restauration. Car ce qui est bien dans un royaume moderne, c'est que le monarque est obligatoirement un sourd-muet. Son silence n'est ni approbation ni lâcheté, c'est un devoir. Et quoi de mieux pour un diplomate que d'avoir un chef d'Etat officiellement taiseux. Pas de violations à dénoncer donc pas d'acrobaties verbales à mettre au point.

Alors quand on a un président qui plus est chef de l'exécutif et qui plus est socialiste, le ministère doit bouillir. Je ne sais pas moi, Sa Majesté aurait visité des musées, baptisé des bateaux, célébré la journée de la Croix-Rouge, présidé l'ouverture académique d'un centre de formation professionnelle, inauguré une bibliothèque municipale (et l'aurait réinaugurée après une fermeture exceptionnelle pour travaux), serait allé à des concerts de charité. Bref, aurait fait de la figuration.

Mais voilà que nous vivons sous le régime de la Vè République. Alors, l'universitaire, le journaliste, l'étranger, le technicien de surface et le taulier guettent son discours. Un véritable drame pour le diplomate. Car plus un acteur politique a des auditeurs, plus il a besoin de formules passe-partout. Formules qui doivent être ciselées par des collaborateurs et leurs sous-ordres. Un sermon à l'assemblée générale des Nations-Unies, une conversation dans un bistrot, une allocution à la télévision, une parlote à l'Académie des sciences morales et politiques, un entretien à l'Elysée avec les syndicats, tout doit se tenir. Bah oui...

Et donc quand le président socialiste de la Vè République se rend en Afrique, on se met à rêver. Il va dénoncer le dictateur, lui hurler démocratie, le "maraver" ma parole ! Alors, le diplomate ne sait plus à quel saint se vouer. Car le Président défend les principes, lui a besoin de pondération. Du genre, un tête-à-tête musclé (alias "discussion franche") mais les yeux sur un prompteur en public. Tout le monde connaît les vieux termes du vieux débat :  défense des principes ou sauvegarde des intérêts ? Intérêt supérieur du pays ou intérêt supérieur de l'Etat ?

Il s'avère que les hommes de gauche sont particulièrement sensibles à la sincérité. Des gens cérébraux, normal. Des éléphants dans un magasin de porcelaine, pourrions-nous dire mais ça ferait mauvais effet... Du coup, le Sieur du Congo-Kinshasa a eu droit à des remontrances sur la situation des droits de l'Homme. Et son pote du Burkina Faso a volé à son secours : "ce qui manque souvent à la France, c'est de connaître les réalités africaines et de les prendre en compte". Ben voyons. Mais comme la France ne peut narguer tous ceux qui violent les droits de l'Homme (adieu contrats !), il faut trouver des formules. Alors oui, ce que fait la Syrie s'appelle un massacre mais en ce qui concerne le Bahreïn, on a le "droit de dire les choses autrement". Et toc !

Le diplomate, lui, "l'habile dans les relations", sait précisément quand et où il faut monter sur ses grands chevaux. Car il est un adepte de la règle de l'effet utile. Il est des situations où il ne sert à rien de faire de la prose, sinon à plomber l'ambiance et à faire sauter des contrats. Les camarades russes, eux, ont tranché : "je me fous éperdument de savoir ce qui se passe chez les autres, et les autres doivent donc en faire de même sur ce qui se passe chez moi !". Ah oui alors, tout un art. Et quand la langue nous démange, vaut mieux s'accrocher au multilatéralisme et noyer sa voix dans le brouhaha de la masse plutôt que de parader tout seul. Il ne faut pas être le premier à tomber, n'est-ce pas; ça ne sert strictement à rien, sinon à prouver son imbécillité.

Sa Majesté n'aurait rien dit, lui. Ni pour la Syrie, ni pour Bahreïn, ni pour la Chine, ni pour le Congo-Kinshasa. Il aurait bu son café tranquillement. Le Président doit tout calculer : chaque contrat de perdu pour chaque minute de dénonciation. Autrement dit, combien de perdants, combien de gagnants ? Combien de perdu, combien de gagné ? Je ne vais pas faire l'islamiste en ces temps obscurs mais un principe cardinal du droit islamique dit qu'il vaut mieux 60 ans d'injustice qu'un jour de désordre (qui deviendra plus tard le "une injustice vaut mieux qu'un désordre" de Goethe). L'Etat choisit l'option la moins mauvaise. A la société civile de choisir la meilleure. Et tout ce qui concerne la probable collaboration entre l'Etat et la société civile relève précisément de la confidentialité. Le but n'est pas d'avoir raison et de se faire évincer, c'est d'avoir un peu tort mais de rester dans le processus. N'est bon que ce qui est utile au plus grand nombre...