dimanche 3 janvier 2016

Reductio ad Hitlerum...

Il ne manquait plus que ça. On aurait presque envie d'en rire, mais le sujet est sérieux, on s'en abstiendra. Le raïs turc qui distribue le label "terroriste" à qui l'empêche de dormir la nuit, se retrouve lui-même associé, volens nolens, à tout ce qui condense l'abjection : Daesh et Hitler. Et avec sa dernière étreinte, on doit ajouter Israël, un "Etat terroriste dont la brutalité a dépassé celle d'Hitler", comme il l'avait jadis décrété. Pour celui qui avait "corrigé" un citoyen qui le conspuait à Soma en l'accablant d'un "semence d'Israël", c'est un grand pas. Désormais, "la Turquie a besoin d'Israël". Eh ben avec ça, même le barbu broussailleux, celui qui n'a jamais eu le temps de devenir curieux et de réfléchir deux secondes, ne sait plus quoi dire, Erdogan l'a engorgé...



C'est que le beau parleur, à peine le prompteur retiré, dit ce qu'il pense. Et comme son verbe, tonitruant mais souvent inconsistant, n'arrive pas à la cheville de celui de son mentor Erbakan (capable de décimer ses adversaires en moins de deux), les ministères et le secrétariat général de la présidence de la République doivent publier des communiqués pour nous apprendre ce que le chef a voulu dire sans avoir eu l'air de le dire tout en voulant le dire.  Et on comprend, Erdogan a beau être un parfait harangueur, il n'est pas une "foudre d'éloquence". Des phrases sans complément d'objet aux verbes sans sujet, la vie politique n'a pas connu pire président en matière linguistique. Même le "paysan" Demirel avait fini par s'imposer en as de la langue turque...

Gaffer est une chose, merdoyer en est une autre. La Première ministre Tansu Ciller, par exemple, dégorgeait à tel point de billevesées qu'elle avait réussi à lancer à une foule conservatrice : "je vous confie Dieu" au lieu de "je vous confie à Dieu"... Avec tout le respect qui s'impose, disons que le président Erdogan est un peu fatigué ces temps-ci. Les traitements, les "guerres d'Indépendance", les "insomnies", c'est humain. Il ne dort pas 7 heures d'affilée comme vous et moi, n'est-ce pas. Alors, à un journaliste qui lui demandait si le système présidentiel pouvait être compatible avec un Etat unitaire, il a dit le plus sérieusement du monde qu'il y avait de tels exemples dans le monde entier et même dans l'histoire, "dans l'Allemagne d'Hitler", par exemple...

Et patatras ! Tout le monde s'est évidemment fourvoyé puisque le palais présidentiel a "recomposé" le discours du raïs. Mais une fois n'est pas coutume, ils ont raison, cette fois-ci. Car, quand on écoute le chef de l'Etat, il ne faut pas se concentrer sur la lettre de ce qu'il dit mais sur l'esprit. Et quand on relit le passage incriminé, on comprend bien qu'il veut dire quelque chose de sensé mais il formule tellement mal que la presse internationale le lance immédiatement comme celui qui veut "prendre pour exemple le régime d'Hitler" ! Un emballement qui s'explique en partie par les préjugés et l'incompétence. Il n'a débité qu'une lapalissade : on retrouve des systèmes présidentiels partout et tout le temps, "le plus important, c'est que dans son fonctionnement, il ne porte pas préjudice au peuple et à la justice"...

Le présidentialisme, la grande passion d'Erdogan. Son conseiller-constitutionnaliste Burhan Kuzu a beau jurer que ce système va enchanter les adversaires du raïs tant il va grignoter ses pouvoirs (!), on se demande si, là-bas, tout le monde comprend la même chose. Il aura fait le tour du monde, le Sieur Erdogan. Des Etats-Unis à la France en passant par le Mexique et le Royaume-Uni (sic !). Pour aboutir in fine au "système à la turque". Et c'est là que le bât blesse : on ignore les modalités du régime qui le hante. "Hitlérien !", disent quelques cornichons, adeptes de la loi de Godwin. Erdogan, hitlérien ? Pfff. "Pas encore", disent ceux qui ont la pétoche. Un leader qui n'apprécie pas l'avis contraire, qui n'hésite pas à traiter à la schlague ses ennemis, certes. Mais il ne tue pas. Et c'est déjà ça dans une région qui regorge d' "excellences-assassins". Une "démocratie hégémonique", plutôt. Un bon sujet de thèse quand j'y pense...