mercredi 13 décembre 2017

Âme bâtée

"On espère. Mais on déchantera", avait phosphoré l'ami Muhayyel, avant de lancer "et si on grillait une cigarette au cimetière ?". Dans les caves de l'univers, au milieu des carcasses humaines, les "choses" les plus nobles que le Créateur ait conçues, leurs esprits fumaient de projets. Crânement. Le pétuneur et le fumaillon dissertaient sur les mirages et la vérité était là, sous leurs pieds, poussière. Ils y étaient allés comme on va au musée, admirer des vestiges et s'émerveiller de la déchéance. La sentence de la mort au cou...

On a beau jeter le regard vers l'horizon le plus lointain, les nuages, les arbres, le bâti. On a beau penser tout ce qu'on peut. On finira dans un trou. Qu'est-ce qu'un grand homme, après tout ? Le cadavre d'une intelligence. Le support d'un esprit qui braque sur la vie des vues d'outre-tombe. Cette créature qui, comme le décrivait Sartre, "réalise un certain concept qui est dans l'entendement divin". L'existence qui dévoile l'essence à pleine bouche. Une chair en transe, une âme en détresse, une ossature en branle...

Saviez-vous que Cioran et Dostoïevski étaient des soufis ? Tout comme Schopenhauer, Mahler, Dvorak, Satie. "Astaghfiroullah", éructa le mollah. "Païen !". "L'archange Gabriel, au chômage technique depuis 1400 ans, fait désormais la navette entre Dieu et ses favoris", avait poursuivi, sans ciller, Muhayyel. Le cheikh, un homme sage mais un être "normal", s'étrangla devant cette sentence. Il essayait de comprendre là où il fallait saisir. "On comprend ce qu'on peut, de ça non plus on ne peut pas en vouloir à quelqu'un", comme dirait Duras...

A quoi se résume l'histoire de l'humanité, au fond ? A l'ensemble des péripéties de la lutte acharnée que se mènent "ceux qui aiment la vie" et "ceux qui aiment le sens de la vie". Les premiers forment le contingent le plus dense car l'erreur a toujours tort en grande pompe. Les seconds forment une pauvre communauté, celle des insomniaques. "Quand on n'a dormi que quatre heures, on n'est pas sentimental. On voit les choses comme elles sont, c'est-à-dire qu'on les voit selon la justice, la hideuse et dérisoire justice", comme dirait Camus... 

Le maître Cioran le dit mieux. "Ceux qui vivent l'irruption de l'esprit mènent une vie dénuée d'attrait, de naïveté et de spontanéité (...). Tout ce qui part vers l'extérieur, ou qui en vient, reste un murmure monocorde et lointain, incapable d'éveiller l'intérêt ou la curiosité. Il vous semble alors inutile de donner votre avis, de prendre position ou d'impressionner quiconque". En somme, les "ivres d'éternité". Les "suspendus". Les "transfigurés". "Saviez-vous qu'un athée peut être un fidèle calife de Dieu ?", susurra Muhayyel à l'oreille du mollah, qui s'était mis à jurer comme un païen...

lundi 23 octobre 2017

A la va-comme-je-te-pousse

Il est des régimes où il fait bon être diplomate. On défend un pays relativement distingué, une culture enviée et des valeurs élevées. On se chamaille certes dans les enceintes internationales, mais la fonction a un côté charmeur. L'ambassadeur de Sa Sainteté, par exemple; c'est le doyen du corps diplomatique et son air débonnaire apaise d'emblée. On connait déjà sa réplique à la moindre question : "peace and love". L'ambassadeur de la Gaule, aussi, est sollicité et scruté. Celui de l'Amérique, lui, est la Pythie incarnée. Qu'on l'aime ou qu'on l'abhorre, on doit lire sur ses lèvres...

Et puis il y en a d'autres qui sont franchement moins bien lotis. Les envoyés de la Corée du Nord, notamment, doivent laisser un membre de la famille au pays. Au cas où. Si Son Excellence se réfugie quelque part, on a au moins un corps à torturer. En Iran et en Russie, les enfants les plus malins de la famille humaine, on défend avant tout une civilisation et une tradition. On ne se fâche pas, on prend des notes. Monsieur l'ambassadeur assure sans ciller que son pays est un parangon dans tous les domaines et que, lui, évidemment n'est pas un portier...

Et il y a le pays des Turcs. Là où les diplomates ressemblaient un peu aux deux sus-cités. Jusqu'à récemment. Désormais, on sait qu'il sont... en dépression. Oui, abattus. Car, contrairement à leurs collègues russes et iraniens, ils ne croient plus à ce qu'ils disent... C'est que, avec un chef de l'Etat qui parle comme au café du commerce, un ministre des affaires étrangères qui parle comme un ministre de la défense et un premier ministre qui ne saurait citer, allez, au moins deux pays voisins, les représentants de la République sont gênés aux entournures. Ils ne savent plus où se trouve l'axe...

Ils ont bien conscience de devoir relayer les sornettes, les revirements, la prose d'un "régime" et non de l'Etat. Cet Etat millénaire, qui avait en son temps empaumé l'Orient et caressé l'Occident. Cet Etat millénaire, qui avait ensuite délaissé l'Orient pour étreindre l'Occident. Les diplomaties ottomane et kémaliste avaient un mérite : elles avaient l'ambition de leurs moyens. "Paix dans la patrie. Paix dans le monde", un slogan certes nunuche mais hautement réaliste. C'était l'ère des fameux "monşer", ces diplomates falots qui avaient peur de prendre des initiatives. Qui géraient surtout les crises...

Et en 2002, un professeur de relations internationales polyglotte, islamiste, conservateur, ottomaniste, enfourcha une lubie : "rendre à la Turquie sa grandeur d'antan". Armé d'un livre-programme indigeste, il secoua le cocotier et prôna la "diplomatie pro-active". L'axe était désormais mouvant. On était en Occident ET en Orient. La Turquie était un "grand pays" et son chef, un "leader mondial". Haute technologie ? Néant. Influence culturelle ? Néant. Marques universelles ? Néant. En plantant un palais kitsch au milieu de nulle part, en exhumant d'anciennes tenues ottomanes et seldjoukides, en marchant comme un empereur, on devint magnanime...

Et un beau jour de printemps, on se lança à corps perdus dans la guerre civile syrienne au nom des "valeurs". On était la voix des opprimés. On garantissait la dignité. La doctrine avait évolué : de la "diplomatie pro-active" qui postulait "zéro problème avec les voisins", on passa à la "précieuse solitude" qui se résumait au "zéro voisin et les problèmes en plus"...

Israël ? Un "Etat terroriste" mais... "incontournable". Mavi Marmara ? On s'en fout, passez l'expression, fallait pas s'aventurer à Gaza. Avait-on demandé au raïs ! Les procès contre les militaires ayant tué dix Turcs ? On les a enterrés contre 20 millions de dollars. Les rescapés de l'assaut ? On a endossé la responsabilité. Les Turcs doivent désormais intenter des actions contre leur propre Etat, une blague...

La Russie  ? Un "Etat voyou" dont les avions violent sans arrêt notre espace aérien mais qui achète aussi... nos tomates. Le bombardier russe visé ? Les excuses de la République arrondiront les angles. Depuis, on s'adore. On achète leurs S-400 mais on oublie de préciser qu'on veut également un transfert de technologie. Moscou fait la sourde oreille. La Turquie se retrouve avec une facture de deux milliards à honorer...

La Syrie ? Un pays dirigé par un "président cruel et sanguinaire". Davutoglu avait déroulé les plans pour aller "prier dans la mosquée des Omeyyades". Un vendredi, si possible. Avant de braquer la loupe sur la carte : ah mince, il y a des Kurdes ! Résultat des courses : la Triple alliance avec Moscou et Téhéran pour sauver la peau d'Assad, 3 millions de Syriens dans les rues d'Istanbul et de l'Anatolie, un embryon d'Etat kurde à notre frontière méridionale...

Les Etats-Unis ? "Partenaire stratégique" qui... ne délivre plus de visas. Et qui nous enquiquine avec le procès Reza Zarrab. On avait si bien enterré et enseveli sous mille épaisseurs les affaires de corruption et voilà qu'elles rejaillissent là-bas, aux pieds de l'ennemi, Fethullah Gülen... Et leur ambassadeur est d'ailleurs un type "effronté", il jacasse sans fin...

Barzani ? Un pote qui... nous a planté un coup de poignard dans le dos. Kirkouk tombe ? On fait la fête. On a chassé les peshmergas et installé les séides du "Daesh chiite", Hachd al-Chaabi. Mais on est content. Résultat : on a contourné Bagdad (Al Abadi n'était pas de son "carat") pour fraterniser avec Erbil, qu'on a bâtie de A à Z et, maintenant, Abadi est notre allié... Aucun fonctionnaire, même de catégorie C, n'avait prévu que Barzani pût rêvasser d'indépendance... L'Iran ? Un voisin qui prône un "expansionnisme chiite" mais dont a besoin en Syrie pour... approfondir cet expansionnisme... 

Last but not least. On exige des diplomates qu'ils fassent le service après-vente des rapts de gülenistes dans le monde entier. Et il faut aussi fermer des écoles en Afrique. Il faut expliquer à un interlocuteur doué d'une raison élémentaire que des "partisans Bac+5 d'un imam vivant en Pennsylvanie ont patiemment noyauté les administrations publiques turques grâce à des djinns et des billets de 1 dollar en guise de régiments supplétifs et d'amulettes pour imposer à terme la charia grâce au soutien de la CIA protestante et du Mossad juif". Un conte à dormir debout. Mais un pilier de la politique étrangère...

G 20. Conseil de l'Europe. Union européenne. Organisation de la coopération islamique. Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe. Organisation de coopération de Shanghai. Alliance des civilisations. "Ey Batı !", "Eh l'Occident !". "Hans a dit ceci, Georges a dit cela, ça rentre d'une oreille pour en sortir de l'autre"...

Incontrôlable, impulsif, le raïs instrumentalise les ressentiments populaires envers des fantômes bien connus : "les sionistes", "l'intelligence supérieure", "les forces obscures". Résultat : la Turquie est devenue un des rares pays au monde à ne pas avoir de politique étrangère. Mais la photo de l'ancien Premier ministre Bülent Ecevit face à un Bill Clinton, le postérieur adossé sur la banquette, reste le symbole répulsif de l' "ancienne Turquie". Celle qui avait au moins un cap...



L'étoile polaire de la politique étrangère ? Les obsessions du raïs, le sauvetage de Zarrab et le coffrage de Gülen, et, surtout, son humeur primesautière. Il hurle, renverse la table, claque les portes. Et les diplomates s'éreintent à revenir au statu quo ante "engueuladum". "Diplomatie pro-active", "précieuse solitude", "damage control". "Nous, nous sommes la République de Turquie, nous ne sommes pas un Etat tribal", aime à répéter le sieur Erdogan. S'est-on seulement demandé pourquoi le président de cette République était affublé d'une référence tribale, "reis"...

jeudi 14 septembre 2017

La nièce de l'oncle...

"Milli olmak". "Devenir national". Un euphémisme. C'est ce que décrète le boutonneux lorsque, las des "cartes de géographie", si tu vois ce que je veux dire, il goûte pour la première fois de sa vie aux délices de la chair. S'il est marié, il ne s'en vantera pas. L'entourage n'aura pas besoin qu'on lui fasse un dessin pour comprendre que priape s'est ébouriffé toute la nuit, affamé qu'il était. S'il est forniqueur, il jubilera. Il aura savouré un don de Dieu dans les bras du diable...

"Bozmak". "Abîmer", "casser", "défaire", "vicier". Un autre euphémisme. C'est ce que décrète le mâle lorsqu'il a troussé sa mie. Qui n'est plus "fraîche". Et qui commence à allumer dans sa tête les flambeaux de l'hymen. Comme si son homme allait tenir sa promesse. C'est le drame des Turques : "se faire avoir" par la gent masculine. "Kandırılmak". Un énième euphémisme dans le pays des "non-dits"...  

Et alors qu'on vivait ainsi, paisiblement, en bons catholiques, avec nos cachotteries "bénignes" et nos peccadilles, voilà que, tout à coup, la nation a découvert le degré de pourriture qu'elle était capable de couver. Ah oui alors, une "cochonceté" sans pareil qui a fait dégorger des millions. Le présentateur vedette, Murat Başoğlu, s'est fait choper en train de, sauf votre respect, baisoter sa propre nièce !


Aïe, aïe, aïe... Et vas-y pour une polémique colossale sur nos moeurs. Une chroniqueuse s'est aventurée à prétendre que 40% des Keturs pratiquaient l'inceste, des juristes positivistes nous ont assuré qu'aucun code n'avait été enfreint, les commentateurs se sont écharpés sur les pourcentages de bassesse, etc. etc. Et nous autres, incarnation de la moralité la plus éthérée, avons été ébaubis. Tout le monde s'est mis à accabler l'oncle, ce pervers qui n'a pas su baisser son regard, comprimer son ardeur, ou, pourquoi pas, jeûner pour dompter ses désirs. Le salop...

Et on a fini par se calmer. Après tout, l'Occident était certes "dépravé" (tiens, désormais les bambins vont apprendre le clitoris), mais l'Orient ne l'était pas moins. N'est-ce pas. Le premier vit à visage découvert, le second, cèle. L'un glorifie l'épanouissement individuel, l'autre suffoque sous le qu'en-dira-t-on. Et vas-y ensuite pour des pâmoisons superflues. Un exemple ? Bah, le pauvre leader nationaliste de Sivas. De la race de ces phallocrates qui impriment dans leur démarche leur caractère viril. Haha, il s'est fait attraper dans le lit d'un adolescent. Rien d'illégal, la majorité sexuelle ayant été atteinte par l'éphèbe en question. Mais scandale quand même. Il se la jouait nationaliste et conservateur, voyons...


C'est avec une ferveur renouvelée qu'on s'est mis alors à dénicher toute nouvelle déclinaison de ces "orgies de sainteté", comme dirait Huysmans. On a ainsi appris que le père qui avait tué le violeur de sa fille de 13 ans avait lui-même jeté son dévolu sur une adolescente syrienne, qu'un grand-père accusé d'attouchements envers ses petites-filles avait été gentiment renvoyé chez lui où vivaient lesdites petites-filles, qu'un mari avait cassé le dos de sa femme qui avait refusé l'acte sexuel,  qu'un voisin s'était jeté sur une femme en lui disant qu'il allait psalmodier des prières chez elle, qu'un participant à une émission de mariage s'était fait attraper dans le cadre d'une affaire de proxénétisme, que l'actrice Sibel Kekilli avait carrément bloqué ses followers de Turquie parce qu'elle était inondée de messages obscènes, qu'un directeur d'école, qu'un entraîneur sportif, avaient... etc. etc. Last but not least. Un imam avait proposé à un mari en instance de divorce de convaincre sa femme de l'épouser. "Comme ça, tu ne paies pas de pension, et moi, j'obtiens la femme"...

Frustration sexuelle. Hypocrisie. Effet d'amplification. Avec un "donc" sous-entendu à chaque fois. Ah oui, j'oubliais. Vous savez comment une jeune nunuche déclare à sa très chère daronne qu'elle est désormais une jeune fille ? En lui susurrant, "halam geldi". "Ma tante est arrivée". Le sang bouillonne et la mère n'a plus le choix, elle lui inflige une baffe phénoménale. Car la tante annonce l'oncle. Un prédateur comme les autres. Le qualificatif "salop" en sus...

jeudi 27 avril 2017

Minorité silencieuse...

140 000 enfants de la patrie ont été radiés de la fonction publique, 40 000 ont été jetés aux fers et 10 000 ont été suspendus. Disons, pour faire simple, dans un pays du Moyen-Orient. Cette région du monde choyée par le Très Miséricordieux et honorée de la naissance du Très Honnête. Et, cependant, terre des cimetières bossus, des injustices criardes et des tempéraments brutaux...

Chaque jour ressemble, dans ce pays, à une page d'ogrerie, on éreinte par-ci, on enquiquine par-là. Un ogre a été établi sur un piédestal et la plus grande aspiration de ses disciples est d'en devenir des marche-pieds. Les autres ont le choix entre lécher la carpette ou marcher à quatre pattes. La justice, vassalisée, expédie tout ce qu'elle peut, la presse, étranglée, cèle tout ce qu'elle peut.

Les "citoyens", eux, ravis de ce "coup d'Etat permanent", donnent des leçons de majesté et de libertés aux Croisés de l'Occident. La contre-révolution ayant triomphé, les Anatoliens pauvres d'esprit et riches de fiel ont chipé le knout et assouvissent avec délice une rancune qu'ils n'arrivaient plus à ravaler. Car, faut-il le rappeler, pour la première fois de leur histoire millénaire, les masses ont pris le pouvoir...

De drôles de gus qui sont comme tombés du ciel alors qu'en réalité, ils germaient au fin fond de la brousse. De ceux qui ne trouvent plaisir à la vie que dans la démonstration de force et l'étalage de leur vulgarité. De ceux qui évitent la mosquée et le Coran mais sont prêts au martyre. De ceux qui sont de zélés nationalistes mais profitent de la vie à l'étranger. Bref, de ceux qui se contentent d'assouvir leurs besoins primaires mais veulent absolument avoir une cause à défendre...

La mère au foyer bigle les émissions de mariage décérébrantes et se prépare à aller au pèlerinage comme si de rien n'était. L'imam prépare soigneusement le sermon du vendredi et fait l'impasse sur les cris de douleur et les foyers d'incendie qui ravagent le pays. L'intellectuel élabore de formidables principes mais refuse de croire aux drames qui secouent des millions d'existences. On abolit la réalité et on vit tellement mieux...

Un référendum a été organisé. Celui qui a posé la question l'a lui-même transformé en plébiscite. On aurait pu s'attendre alors à un sursaut de la conscience. La capitale de la République, Ankara, a dit "non", la capitale de l'Empire, Istanbul, a dit "non", la ville où habite le chef, Üsküdar, a dit "non", la ville où il a proclamé sa victoire, Sarıyer, a dit "non", la ville où il est allé prier le lendemain, Eyüp, a dit "non". Mais les masses ont béni les injustices...

La majorité peut-elle s'égarer à ce point ? Oui, dit la science politique. Bah bonjour, dit le Livre sacré. "Comment l'erreur se propage-t-elle et s'accrédite-t-elle ? Ce mystère s'accomplit sous nos yeux sans que nous nous en apercevions", affirmait Balzac. Un mystère. Passons les principes démocratiques, peu leur en chaut, mais où est passée la morale islamique, cette petite voix qui vient de l'au-delà et qui tonne tel le père Paneloux, "Mes frères, l'instant est venu. Il faut tout croire ou tout nier. Et qui donc, parmi vous, oserait tout nier ?"...

C'est connu, un pays ne sort du Moyen-Orient que dès lors qu'il commence à compter non pas sur les bouffées délirantes de la majorité enfiévrée mais sur la sagacité de la minorité silencieuse. Car le tout, c'est qu'au final, la Terreur soit abolie par les victimes et non leurs bourreaux. Et que l'une d'entre elles sorte du lot et lance à la figure de ces derniers, comme l'avait jadis fait Jean-Joseph Dusaulx, "Abjurons les fâcheux souvenirs. Loin de nous toutes ces sortes de ressentiments, nous les avons laissés au fond de nos cachots"...

mercredi 8 mars 2017

De l'art d'être traître à sa patrie...

L'Etat, c'est lui. Jadis, il l'abhorrait. Il le fustigeait. Il visitait les capitales européennes pour s'en plaindre. C'est qu'il était une victime du système en place. Un paria. Parmi d'autres. Les barbus et les voilées en ont avalé des couleuvres. Les premiers étaient, selon le canon officiel, des arriérés; avec leurs chaussettes blanches et leurs chaussures laissées sur le seuil de la porte. Les secondes puaient. Leur bout de tissu menaçait l'ordre républicain. Le dieu Mustafa Kemal n'avait rien révélé en la matière mais peu importait. On déterminait la valeur des citoyens en fonction de leur garde-robe...

Ses compagnons de route avaient tant souffert. Les étudiantes en foulard, dont l'épouse du futur président Abdullah Gül, étaient bannies des universités. La députée voilée Merve Kavakçi avait été éjectée de l'Assemblée sous le regard lâche des millions de citoyens. Le parti islamiste Refah, au pouvoir, était détrôné sans coup férir. Le "maître", Necmettin Erbakan, éphémère Premier ministre, déboulonné en moins de deux. Les mères anatoliennes, grandes pourvoyeuses de "martyrs", étaient écartées des casernes. Les officiers, issus de leur ventre, se la jouaient "hors-sol". Ainsi allait l'ancienne Turquie...

Erbakan et compagnie avaient immédiatement saisi la Cour européenne et alerté la communauté internationale. On les brimait, il fallait bien que les nations policées fussent au courant. Cependant, à l'époque, il n'était venu à l'idée de personne de déblatérer contre des "traîtres" ou "des vendus qui crachent sur leur patrie". Des êtres humains avaient été broyés dans leur existence et allaient s'épancher hors de leur pays. C'était normal. Car il s'agissait de dénoncer des injustices, tous les moyens étaient bons. Voir un islamiste invoquer la démocratie dans le prétoire strasbourgeois ne pouvait donc rien avoir de baroque...

Peu à peu, une vague de fond a tout soufflé. La "contre-révolution" l'a emporté. L'année 2002 est, en réalité, la date charnière dans l'histoire millénaire des Turcs. Ces derniers ont pris le pouvoir... pour la première fois. Les Anatoliens, ignorés sous l'empire, méprisés sous la république, se sont permis de traîner leurs sabots dans les allées du pouvoir. Le pays réel et le pays légal se sont rabibochés. Mais lui, le meneur avide de revanche, a finalement décidé de créer ses propres souffre-douleur. Il a polarisé à outrance, comme ses anciens tortionnaires. Car, au fond, l'Etat-nation n'est ni un Etat ni une nation; celui qui s'installe à Ankara chipe le knout...



Aujourd'hui, il trône. Même sa démarche a changé. Plus assuré, il voit désormais des perfides partout. Ses sectateurs ont trouvé la parade. Le critiquer, c'est trahir l'Etat turc. Le nouveau dogme. Tous ceux qui le contredisent font de la "propagande terroriste". L'ivresse du pouvoir. La vengeance des "domestiques", des "ploucs", des "croquants", des "Turcs noirs". L'Anatolien pieux est ravi. Personne ne le vexe désormais. Une volupté sans pareil. A tel point qu'il en perd son âme. Vous lui parlez de "valeurs", de "droits de l'Homme", de "justice", il vous répond comme un païen. "Droits sociaux", "hôpitaux", "routes", "ponts", "allocations"...  

C'est le triomphe du formalisme religieux. On prie, on se voile, on jeûne, on tourne autour de La Kaaba. Une piété rachitique fondée sur le seul rituel, sans essence, une croyance sans certitude, sans combat pour la vérité et la justice, inonde les cœurs. Les conservateurs, au pouvoir depuis 2002 (iktidar), ont pris le pouvoir en 2011 (muktedir). Depuis, le pays sombre. Pour lui, il brille. Malgré les coups de boutoir de la CIA, du Mossad, du Vatican, de l'Allemagne, des Illuminatis, des "salauds" du monde entier. Des histoires à dormir debout. Une mythologie tout droit sortie d'un cerveau humain; avec ses aventures, ses rebondissements. Et après, on s'étonne de la force d'affabulation des Grecs et des Romains...

Un patriotisme creux hante également les Franco-Turcs. Celui qui ne connaît ni l'histoire ni la culture de l'ère ottomane, celui qui ne sait même pas déchiffrer une phrase rédigée en osmanlica, celui qui n'a jamais entendu parler de Fuzuli, celui qui ne sait même pas distinguer un tapis turc d'un tapis persan, celui qui n'a jamais prêté l'oreille à la musique classique turque, celui qui n'a jamais connu de frissons en écoutant le "yayli tambur", celui qui n'a jamais feuilleté Atsiz, Güngör ou Safa, celui qui adore le ney parce qu'il n'y comprend rien, celui qui aime le Mehter parce que ça fait du bruit, cette engeance donne des leçons de patriotisme. Et ostracise tous ceux qui l'embêtent.

L'Etat, c'est lui. Le Bien, c'est lui. L'islam, c'est lui. La patrie, c'est lui. Tout le monde rêve d'un pays arrosé de bonheur ? Que nenni. Lui seul bâtit, satisfait, donne. Il ferme une parenthèse. Celle de "l'alcoolique dépravé". C'est un bon rousseauiste, au fond. Comme celui qu'il veut absolument enterrer. On espérait que les "ex-victimes" fussent plus humains. On croyait que les pratiquants seraient plus justes. Ils ont tout renié. Car guidés par l'humiliation et la vendetta. Si un ancien rescapé du système vous affuble des mots "félon" ou "vendu", ayez pitié de lui. Il ne fait que se consoler d'avoir trahi ses propres idéaux. C'est que "les trois quarts des traîtres sont des martyrs manqués"...

mardi 7 février 2017

Révérence parler...

Qu'on s'ennuie ferme dans une république, alors. Surtout quand on n'a même pas de First Lady. Bernadette, elle, savait faire les choses. Elle avait fait une de ces révérences devant Elisabeth II qu'on se rappela qu'elle se prétendait aristo. Sans l'être, évidemment. Comme Dominique de Villepin ou Valéry Giscard d'Estaing. Alors que Sarkozy, lui, était un vrai noble hongrois, de Nagy-Bocsa, s'il vous plaît...

Et les incartades "présumées", comme dirait un journaliste inculte, de la future Première Dame nous barbifient encore davantage. Comme si le "souci de se mettre à l'aise aux dépens du Trésor public" quand on se dit chrétien pratiquant relève de l'exotisme. Christine aussi, qui croyait en Dieu et donc à ses carnets d'outre-tombe, avait réfléchi jadis sur les "effets de la mondialisation" avec quatre collaborateurs, un chauffeur, un bureau et un salaire de 9 500 euros... "Pénéloper" entrera à coup sûr dans la 10e édition du dictionnaire de l'Académie, vers 2060, en tant que synonyme de "boutiner", euh pardon, "butiner"...

Dans une monarchie, l'ambiance eût été autre, n'est-ce pas. Qui dit royauté, dit esthétique. Qui dit royauté, dit raffinement. Qui dit royauté, dit têtes blondes. La magnificence vaut bien une part d'inégalité. Et quand on vole dans un royaume, ça a de l'allure. Ces gens qui n'ont jamais connu les rangs serrés dans un métro, la queue pour acheter une baguette, la résiliation de la ligne téléphonique, les ronchonnements dans une salle d'attente ou simplement la réplique "excusez-moi". Il n'en reste pas moins qu'une famille qui sort du fin fond de l'Histoire est le symbole de la concorde nationale, de la permanence. C'est comme ça...

"Qu'avons nous [sic] besoin de parler un dialecte arabe, alors que le [sic] plupart des jeunes ne savent ni lire ni écrire le français en sixième ? Et l'on se rend compte que le multiculturalisme est un leurre dangereux, dont le résultat serait une 'bouillabaisse' sans espoir et l'éradication des racines de notre civilisation". Dixit, Monseigneur le comte de Paris, duc de France. Avec deux fautes de français pour retranscrire ses propos, s'il vous plaît. Un goujat aurait dit que Son Altesse Royale est un coquecigrue mais nous détestons les malappris, n'est-ce pas...

Nous autres royalistes turcs (ou plus exactement "impérialistes") sommes orphelins depuis 1922. Le pacha en avait décidé ainsi. Depuis, la famille est divisée en deux : la branche occidentale et la branche orientale. Et jusqu'alors, une règle non écrite voulait que ses membres se tussent. Dorénavant, c'en est fini. C'est que Son Altesse Impériale la princesse Nilhan Osmanoglu, "Devletlû İsmetlû Nilhan Sultan Âliyyetüş'şân Hazretleri" pour les plus rigoureux, s'est lancée dans la campagne référendaire pour faire de son "sujet" Recep Tayyip Erdogan un "président exécutif". "On en a assez du régime parlementaire", a-t-elle soupiré. Son arrière-arrière-grand-père, Abdülhamid II, n'en pensait pas moins, il avait tout bonnement suspendu la première assemblée de l'histoire turque...





Madame est l'une des 17 "sultanes" vivantes. Sultane, c'est-à-dire princesse impériale. Descendante de Mehmed II le Conquérant, de Hürrem, de Kösem, de Soliman le Magnifique, etc. etc. Autant dire, une perle rare. Et le frère de son grand-père est désormais le chef de la Maison impériale. Osman Bayazid Efendi vient de rejoindre ses illustres aïeux dans l'au-delà et le flambeau est passé à la branche orientale. Celle qui n'a connu que les régimes autocratiques du Proche-Orient. La Turquie devient pour le coup un summum dans leur univers un brin étriqué... Que peuvent bien se dire par exemple Nilüfer sultane et Nilhan sultane dans les réunions de famille ? Rien puisqu'elles n'ont même pas en commun une langue pour jaser. De là à se lancer dans des ferrailleries politiques...

"Le parlementarisme a entravé l'action de tous les grands leaders turcs", a-t-elle également analysé. "Napoléon avait dit qu'il y avait deux monarques riches : lui et Abdülhamid II", a-t-elle aussi pondu. Napoléon Ier a vécu de 1769 à 1821. Napoléon III a régné de 1852 à 1873. Abdülhamid II est monté sur le trône en 1876. Hum hum... "Heureusement que l'empire n'existe plus, on aurait dû verser un salaire à cette cervelle et lui montrer en plus du respect", s'est emportée une politologue... "Quand on pense que son grand-père parlait plusieurs langues, avait 30 000 livres dans sa bibliothèque et jouait du piano", s'est désolé un autre, kémaliste pur sucre... "Elle a perdu une occasion de se taire", avait éructé un goujat qui passait par-là. Mais nous détestons les malappris, n'est-ce pas...